Tu étais malade, gravement, cela se voyait, mais tu refusais de l’avouer. Pour autant, je suis sûr que tu n’étais pas dupe.
Un jour tu m’as dit : « ça y est , je vais mieux, le médecin m’a revalidé mon aptitude physique, peut-on aller faire un vol pour renouveler ma licence ? »
Ce vol, on l’a fait dans les jours qui ont suivi. Tu as volé parfaitement. A la fin d’un exercice que tu avais réalisé amplement dans les normes, je t’ai dit on rentre, tu en as fait assez. Mais tu n’as pas voulu. Cet exercice qui était très bon, n’était pour toi pas parfait. J’étais un peu gêné de te le faire refaire, toi qui as été mon instructeur montagne, toi qui avais passé des heures à me faire travailler la précision, à m’enseigner les pièges mais aussi toute la beauté du vol montagne. Mais tu as insisté.
On a refait cet exercice. A la perfection. Tu aimais les choses bien faites. Ton épouse te comparait à un aigle à la vue perçante, à qui rien n’échappe, et amoureux par dessus tout du vol qui utilise toutes les ressources de l’aérologie.
Je ne savais alors pas que ce vol serait ton dernier. Trois semaines plus tard, ta méchante maladie t’emportait. J’ai tout de même eu le temps, quelle maladresse de ma part, de te demander si tu avais pensé à faire revalider ta licence. Tu as répondu évasivement par la négative, prétextant un manque de temps. En fait tu n’avais pas plus de certificat médical qu’il n’y a de cheveu sur le sommet d’un œuf.
Tu voulais simplement faire un dernier vol avant ton décollage pour l’éternité, et je suis heureux que tu me l’aies demandé. Ce fut un vol parfait.
Mais si j’avais su, je l’aurais fait durer plus longtemps ce dernier vol.