Il s’appelait Martin.
Je ne me rappelle plus bien de son visage, de sa taille, de ses yeux. Je ne me rappelle plus s’il avait 23 ou 24 ans, je ne me rappelle plus s’il était grand et beau, je me rappelle… Je ne sais plus très bien de quoi je me rappelle.
C’est idiot, non, de commencer comme ça ? Mais c’est encore plus idiot, ce que je vais raconter, encore plus idiot et pourtant, je vous jure, tout est vrai jusqu’à la dernière goutte d’encre que je vais poser sur cette feuille.
Je ne sais pas trop comment vous le raconter, en fait. Vous savez, on dirait tellement un conte de fée, une de ces comptines qu’on chante aux enfants pour les endormir ! C’est dur d’écrire quelque chose qu’on sait par avance naïf et un peu niais. Mais, vous comprenez, j’ai besoin qu’on me lise, besoin de parler de lui. Martin.
C’était à une fête. J’étais amoureuse alors, amoureuse comme une enfant peut l’être, d’un garçon qui ne m’aimait pas et que je n’étais pas bien sûre de revoir ; je suis donc arrivée à cette fête le cœur en berne mais l’impatience aux lèvres, l’impatience d’oublier mes examens, d’oublier ce froid dévorant, tu vas rater, tu vas rater, surtout, il ne fallait pas que j’y pense, je voulais laisser derrière moi mes peurs, mes doutes, mes appréhensions, tout ce qui me faisait me réveiller en sursaut les nuits de cet été là, trempée de la sueur de mes cauchemars.
Et il était là.
Oh, il n’a pas accroché mon regard de suite, au contraire. Il y avait trop de monde, trop de nouveaux visages, trop de gaieté autour de moi, ce n’était pas un « coup de foudre » comme dans les livres. Mais le temps s’échappait, et la soirée avançait, et sans y penser, sans trop comprendre, je me retrouvais à sa table au repas, à applaudir à ses jongleries, dans ses bras au bal folk qui nous jeta, épuisés, au bord du feu, sous l’œil indulgent d’un ciel étoilé.
Je ne me rappelle plus de tout ce que nous dîmes cette nuit là. Je crois que c’était un de ces moments magiques, ceux où on ne réfléchit pas, ceux où le monde extérieur pourrait aussi bien ne pas exister, parce qu’il n’y avait rien, rien que nos paroles et nos silences, rien que nos danses de papillons ivres de jeunesse et de soleil, rien que cette unique nuit. Fuir le matin.
Et nous finîmes par abdiquer à la nuit quelques heures de paix, couchés l’un à côté de l’autre, avec pour seul contact ses doigts sur les miens et son regard sur ma joue, comme une caresse pour accompagner ma lente glissade vers le sommeil. Ne t’en fais pas, il disait, quand je m’égarais trop loin dans mes cauchemars. Ne t’en fais pas, ça va passer.
« Tiens, je n’ai pas de gsm, appelle moi sur mon fixe, je déménage dans quinze jours… »
C’est ce qu’il m’a dit, au matin qui m’emmenait, vite, vite, il fallait partir, je ne voulais pas, je… Je suis partie avec ce numéro et un sourire, et… Je ne l’ai jamais appelé.
Une semaine plus tard, je revis le garçon que j’aimais. Un mois plus tard, je ratais mon année. Martin était un souvenir. C’était il y a 9 mois maintenant, et je ne l’ai jamais appelé.
Il me manque.