Je n’ai pas la vie facile malgré le peu d’occupations,on me détache du clou où je suis accrochée , me glisse dans la serrure le matin pour ouvrir la porte puis, plus rien jusqu’au soir où on me pend après l’avoir vérrouillé à double tour. Quelque fois, on me sort pour fermer la porte lorsque les propriétaires ont envie de promenade. Là c’est dans un sac à main, si c’est madame ou la boîte à gants de la voiture si c’est monsieur où là, je suis enfermée, ne voyant rien aux alentours. Je devrais être contente de sortir, de sentir l’air sur mon vieux corps encore bien droit, seulement cela fait plus d’un siècle que je subis ça... Sans rien dire de plus ! Je suis très polie et ne grince pas ! Une clef parfaite, seulement j’en ai ras la serrure de tourner à droite ou à gauche, ouvrir, fermer... rebelote à l’envers. Personne ne peut s’imaginer, les tours de reins que je me paye en plus du tournis ... Bien sûr que j’ai une tête et bien ciselée en plus, c’est un très grand orfèvre qui m’a travaillée, cela se voit, pas un seul pet de travers ... Avec tout ça, je perds un peu le fil de mon histoire...
Ce matin les proprios ont décidé d’aller à la mer, ils ont préparé le panier de pic-nic, les maillots de bain, les serviettes, m’ont prise pour fermer la porte et nous voilà partis. Bizarrement, je ne suis pas dans la boîte à gants ni dans le sac de madame mais dans une poche, laquelle ? Je n’en sais rien et je m’en moque, je sens le vent du large, les odeurs du varech, que c’est doux. Pour une fois, je profite de cette semi liberté pour me laisser bercer au bruit des vagues . Monsieur et madame se sont déshabillés et m’ont laissé là pendant qu’ils allaient nager. J’entends les rires des enfants pataugeant dans les petites mares,les cris des vendeurs de beignets vantant leur marchandise. Je suis toute excitée de bonheur... Pas envie de repartir et pourtant il le faut bien... Monsieur et madame en ont fini et décident qu’il est temps de rentrer. Je ne sais pas ce qui c’est passé, j’ai glissé doucement et me voilà sur le sable, abandonnée au bord de l’eau...
Cela fait très longtemps que j’y suis et j’attends, patiemment, un navire qui pourrait me prendre à son bord pour des îles paradisiaques... Aucun navire à l’horizon, l’eau se rapproche dangereusement ... Au secours ! Je ne sais pas nager ! Je ne sais pas crier non plus, je glisse doucement, tout doucement vers le fond et je me noie. Quel drôle de destin pour une clef qui voulait prendre celle des champs ...