Je le regarde.
Il n’est pas pâle, il est jaune. Un jaune maladif, irrégulier, pas un jaune comme celui des blés mûrs en été. Ses yeux, surtout. Ils sautent d’un point à un autre, hâtifs, fuyants, indécis. C’est à ça qu’on reconnaît leur peur, à leurs regards. Parce qu’ils fixent tout, ou qu’ils ne fixent rien. Qu’ils regardent dans nos yeux une demi seconde avec l’espoir vague, fou, qu’ils y verraient de la pitié.
Ils ne savent pas qu’on nous arrache notre pitié. Il ne sait pas que c’est moi qui vais le tuer.
Il est recroquevillé sur le sol sale. Comme un animal, c’est ce qu’on nous dit, ils doivent être des animaux pour vous, et il faut qu’ils le sachent. Alors on les agenouille sur la terre battue et on les brise.
C’est facile de briser un homme. Ils ont tous les mêmes besoins, les mêmes espoirs, l’envie de voir de la pitié dans les yeux de ceux qui leur font peur. La perspective d’un retour à la vie normale. Comme si la vie pouvait être normale après ça. Mais ils ne le savent pas. Et c’est ça qu’il faut faire, maintenir cet espoir le temps qu’ils parlent, puis sortir le revolver et voir s’éteindre la lueur dans leur regard vide. C’est tellement facile.
Il a parlé, ça y est, il a parlé, de sa voix d’animal apeuré. Un couinement inintelligible que le secrétaire a noté, imperturbable. Il sait que ces aveux ne valent rien, que l’homme n’a dit ça que pour sauver sa peau, n’importe quoi, des mensonges inventés avec le fol espoir que ce soit ce qu’on voulait entendre et qu’on le laisse sortir. Il ne sait pas que je vais le tuer.
On me fait signe, je m’avance, et je le regarde. Il y a encore des questions dans ses yeux. Mais il n’y a rien dans les miens, alors tout s’éteint et il se brise. Moi, je gèle mes sentiments dans le ciment de la guerre, et je tire.