Ah ! Putain c’qu’on est bien !
Le soleil donne de l’or intelligent et Patrick Robert se tortille dans le transat pour regarder alternativement la mer, la mère de ses enfants qui lit Public affalée sur une serviette en contrebas et la mère des enfants d’un autre qui s’adonne aux joies du château de sable avec ses bambins blonds et charnus, offrant au regard acéré de Patrick la vision de ses charmes intérieurs à peine dissimulés sous un string minimaliste.
Kevin et Priscilla, les "chiards" de Patrick, sont avec les monos, à faire du tir à l’arc ou du jet ski, ou du parachute ascensionnel et du Tae Kwon Do - à moins qu’ils ne jouent au docteur avec les ados de "Savanne profonde" qui jouxte "Kigali la rouge" la case qu’occupe la famille Robert - et leur abscence participe, au moins pour moitié, au "putain de bonheur" qu’il éprouve en ce pur moment.
Patrick ferme les yeux sous les Ray-Ban Barbès. La quiétude ambiante et une digestion plutôt agressive l’appellent à la sieste après un rot terrible - qu’il n’a pu dissimuler quelques instants plus tôt provoquant les regards désaprobateurs de ses voisins de couche.
Putain ! Qu’est-ce que je me suis mis !
Patrick a fait trembler le buffet à volonté, ce midi encore. Premier à l’ouverture des portes il a mangé comme douze se resservant sans cesse jusqu’à la fin du service, parce que c’est dans le prix. Il a bu trois cafés et un thé à la menthe pour faire passer et a eu du mal à enfiler son short de bain Magnum pour aller à la plage se faire rôtir le Johnny à côté de Marilyn.
C’est comme ça que Patrick appelle Sylvie depuis qu’elle est devenue platine, il y a trois ou quatre mois, juste après que le conseiller conjugal leur ait proposé d’avoir un fantasme commun, au moins un, pour relancer une vie de couple en déclin. Patrick picolait trop, Sylvie dormait beaucoup et faisait sans cesse le ménage derrière les deux gamins dont l’avenir, lui aussi, partait en Chupa Chups. Kevin promettait de redoubler sa troisième et Priscilla se noyait dans des affaires de fille où des types à moto occupaient son tout petit esprit et son corps par moments.
Bien entendu, cela n’est pas facile de reconstruire tout cela et, pour Patrick surtout, d’arrêter la boisson, mais, ce voyage, ces vacances, le Cleube, y participe pleinement. Dépaysement, faniente, amour : des recettes imparables !
Il est quatre heures et quart lorsque l’Epaule de Patrick commence à le brûler et qu’il s’aperçoit qu’avec tout cela il n’a pas mis de crème, bien que cela soit recommandé par le dépliant de la table de nuit qu’il n’a pas lu, de toutes façons. L’Epaule, c’est la gauche, celle du cœur, celle de Johnny, l’immense tatouage de l’idole des jeunes qui ne le sont plus tout à fait, celle qui fait que les copains de Patrick ne l’appellent pas Patrick, mais Johnny, depuis des années. Patrick attrape la crème et se tartine le corps en insistant bien sur le visage du rockeur proto-suisse, copie conforme ou presque d’une photo prise par Patrick lui même un soir au Stade de France.
Marilyn est debout, avec les pieds dans l’eau et se fatigue un peu de tout ce calme, de ne rien avoir à faire, pas même le lit le matin. Les enfants lui manquent un peu mais elle sait que ce soir, les yeux pleins de bonheur, ils lui raconteront leur magnifique journée et elle sera heureuse, pour eux, au moins. Tout à l’heure, elle a essayé de lire, mais c’était compliqué, par manque d’habitude. Puis elle a tenté de parler à la mère des deux enfants blonds et tellement jolis autour du château de sable, mais elle était allemande, ou hollandaise, ou je ne sais quoi. Alors elle a fermé les yeux, un peu, s’est levée et trempe ses pieds dans l’eau trop froide lorsqu’elle voit son Patrick s’astiquer le Johnny.
Elle s’approche de lui et prend le tube de crème qu’il lui tend pour en mettre dans le dos. Marilyn s’applique et masse délicatement la couenne de son homme de la paume des mains et sent Patrick frémir au contact des peaux. Dans le creux de l’oreille, tout bas, elle lui glisse...
Tu ne voudrais pas... ?
Bien sûr !
Alors ils se lèvent et, main dans la main, tout comme au premier jour, ils s’en vont dans la case faire l’amour comme des rois, avec du sentiment, de l’attente cordiale, des douceurs infinies, des prudences adorables en un moment sacré, une communion superbe.
Alanguis et repus, heureux, ils se parlent enfin après ce long silence de quelques grandes années et se souviennent ensemble de leurs plaisirs passés, de ce qui leur arrive et projettent mûrement de se sortir très vite du marasme et de la "chienne de vie". Patrick, qui ne boit plus, presque, promet d’être plus attentionné et Sylvie assure qu’elle va essayer d’être moins agressive et surtout moins maniaque, ce qui énerve tout le monde. Ils se jurent pour demain d’être plus positifs et de toujours voir la vie en rose, malgré tout, parce qu’ils sont ensemble et qu’ensemble c’est tout.
Après une douche commune qui scelle plus encore leur union progressive, ils s’habillent avec goût et, une fois les enfants récupérés, ils cheminent gaiement vers l’un des restaurants où la foule passée laisse l’ambiance libre pour un très bon moment. Les mets sont fins et frais et tout va pour le mieux lorsque débarque, à la table à connexe, une smala de Dunkerque avec le verbe haut, qui se met à hulluler son patrimoine local, à se pousser du coude pour Dieu sait quelle raison et à se lever sans cesse pour un ravitaillement à jamais suffisant.
Formellement agacé, Patrick remballe sa colère et presse sa famille de quitter les lieux pour des cieux plus cléments, notamment ce petit bar de plage éloigné du grand monde, assez classe un peu lounge, repéré peu avant, où il sait pouvoir prendre un cocktail sur le sable.
Là, le verre en une main, l’autre accroché à la hanche de Sylvie, yeux perdus vers le large, il se sent bien, comme jamais depuis longtemps.
Ah ! Dit-il, le cleube ce serait le paradis... s’il n’y avait tous ces beaufs !!!