Noirceur. 1
Nancy s’éveille, la brume légère annonce une journée ensoleillée. La météo dirait-elle enfin la vérité et le printemps daignerait-il montrer le bout de son nez en cette fin d’avril
Jacques s’est levé de bonne humeur, grasse matinée, enfin presque, il n’est encore que huit heures et quart, vive les RTT. La radio gazouille, elle vient juste d’annoncer les températures prévues, presque estivales, seize degrés le matin et vingt-deux l’après midi.
Petit déjeuner copieux, une fois n’est pas coutume, un œil distrait à la feuille de chou de la veille qu’il n’a pas pris le temps de lire. Il termine de se préparer. Ce matin il va écrire, il est bourré d’idées, un roman à terminer. Son roman ! Il attaque la troisième page.
On sonne !
On a sonné et on insiste, il y a quelque chose d’obscène dans ce carillon qui vient le tirer de ses rêveries. Qui cela peut-il bien être ? Il n’attend personne.
La porte s’ouvre sur un personnage austère, grand, sec, flanqué d’un imperméable beige.
L’homme s’avance, il montre à Jacques sa carte, petit rectangle plastifié rayé en tricolore, police.
L’inspecteur visite l’appartement, il n’a encore rien dit. Jacques est sur ses talons. Il a marmonné quelques questions dont il attend encore les réponses.
Votre bureau ? L’inspecteur s’assied devant l’ordinateur, il lit.
Vous êtes romancier ?
Jacques sursaute, la voix posée mais cinglante exige une réponse immédiate.
Non ! Mais j’écris pour mon plaisir, je suis auteur amateur, je commence un roman.
L’inspecteur se lève et extirpe le la poche de son pardessus un recueil de textes. Il le feuillète.
C’est vous qui avez écrit ce texte : La turne.
Jacques acquiesce.
Quand avez-vous vu Jérôme pour la dernière fois ?
Pardon ?
Quand avez-vous vu Jérôme pour la dernière fois ?
Quel Jérôme ? Qui c’est Jérôme ?
L’inspecteur jette à Jacques un regard froid, les lèvres pincées mais rapidement il se détend, son visage devient tout sourire.
Comme vous voulez. Vous ne parlerez, je suppose, qu’en présence de votre avocat ! Qu’à cela ne tienne, je vous embarque au poste et je vous mets en garde à vue.
Mais je vous assure commissaire, je ne demande…
Inspecteur, pas commissaire, la flatterie ne vous mènera à rien.
Je ne demande qu’à coopérer inspecteur…
Soit ! Quand avez-vous écrit cette nouvelle ?
Jacques se concentre.
Vous permettez ! Je crois bien que j’ai noté la date d’envoi à l’éditeur dans mon agenda.
Mais faites donc !
Voila, c’est ici… En novembre 2006 le jeudi 23 novembre 2006, j’ai envoyé mon texte par e-mail à l’éditeur.
Donc il y a préméditation.
Pardon !
Vous m’avez très bien compris.
Mais com… Inspecteur, c’est ridicule, j’ai inventé cette histoire de toute pièce, les personnages, les lieux… Rien n’est vrai, la ville c’est Nancy, mais tout le reste est imaginé.
Etrange ! Vous vous entêtez à nier l’évidence.
Comment ça ! Je ne comprends pas !
L’inspecteur se rassoit et insiste pour que Jacques prenne une chaise. Puis il lit à voix haute le texte. Au bout de cinq à six minutes Jacques passablement énervé se lève et l’interrompt. Mais, l’inspecteur d’un geste sans équivoque lui intime l’ordre de se taire et de se rasseoir. La lecture terminée, l’inspecteur sort de la poche intérieure de son pardessus une feuille de journal pliée en quatre. Il la déplie, regarde jacques droit dans les yeux un court instant, la commissure des lèvres légèrement plissée, savourant son effet d’annonce. Puis, il lit l’article commentant la disparition d’un certain Jérôme Durand, étudiant en médecine, logeant au 72 bis rue de l’assomption à Nancy.
Mais inspecteur ! Il n’y a pas de rue de l’assomption à Nancy. Un foyer de l’assomption, oui, mais pas de rue de l’assomption.
Vous m’avez l’air bien sûr de vous.
Ecoutez, inspecteur, je m’assure toujours, pour ne pas faire d’impaire, de ce genre de détails avant d’écrire.
Donc cette rue n’existe pas, à Nancy !
Absolument certain inspecteur.
Venez, je vous emmène faire une petite ballade.
L’inspecteur se veut rassurant.
Nous n’allons pas au poste et ma voiture est banalisée, nous n’attirerons pas l’attention.
Un quart d’heure plus tard, la voiture tourne en rond dans les rues de la vieille ville. L’inspecteur semble perdu, c’est en tous cas l’explication de Jacques, qui lit toutes les plaques de rues.
Inspecteur, c’est la troisième fois que nous empruntons cette rue, je crois bien que vous êtes égaré ou alors c’est une blague, c’est pour la caméra cachée…
Un peu de patience, je sais ce que je fais, n’ayez crainte nous arrivons.
La voiture tourne soudain sur la gauche dans une rue que Jacques n’avait pas remarquée au précédent passage. La rue de l’assomption. L’inspecteur se gare en face d’une boutique à la vitrine crasseuse. Il invite Jacques à descendre
Jacques ressent un long frisson, une impression de vivre un rêve éveillé. Un canular, c’est un canular, se dit-il à voix basse. Il fait froid dans la petite rue, un froid glacial qui contraste étrangement avec l’impression du réveil. Jacques lève la tête, un ciel gris, très sombre, de gros nuages menaçants, quelques gouttes qui commencent à tomber. La voix de l’inspecteur, le tire brutalement de sa torpeur.