Voyez ! Le soixante-douze, l’accordeur de pianos et le soixante-quatorze, le cordonnier.
Jacques regarde l’inspecteur, la façade de l’immeuble, l’inspecteur…
Mais ! Inspecteur ! Il n’y a pas de soixante-douze bis !
Cette observation lui redonne subitement confiance. Pas de soixante-douze bis, plus de raison de faire un parallèle avec sa nouvelle.
L’inspecteur lui fait signe. Apparemment, rien ne semble pouvoir le déstabiliser.
Suivez-moi !
L’inspecteur pénètre au soixante quatorze, chez le cordonnier, traverse la boutique. Le vieil homme afféré à ressemeler un vieux brodequin n’a même pas levé la tête.
Au fond de la boutique, sur la gauche, une porte, l’inspecteur l’ouvre et pénètre dans un couloir sombre, sentant le moisi et le rat crevé. Jacques, ne comprend pas où veut en venir l’inspecteur, il lui tarde de rentrer chez lui. L’inspecteur a tourné sur la gauche, il se déplace dans le noir sans hésitation, Jacques le suit en tâtonnant. Une porte s’ouvre et voici que l’on débouche dans la rue. Les deux hommes se retournent et contemplent la façade.
Alors ! La voici notre entrée soixante-douze bis ! Dit l’inspecteur triomphant.
Jacques est pâle comme un mort. La rue, vide est envahie peu à peu par le brouillard. Jacques est transi, son estomac noué le fait souffrir… La peur au ventre.
Allons voir l’appartement déclare alors l’inspecteur en poussant sans brutalité mais fermement Jacques devant lui.
Tout est conforme au récit de la nouvelle. L’escalier en colimaçon, la porte qui ferme mal, la minuscule cuisine, la pièce principale meublée de son réfrigérateur de sa table et de sa gazinière, la chambre, le lit et sur le lit, recroquevillé, anormalement desséché, le corps d’un homme avec sur le visage une expression d’horreur et de terreur indicible.
Jacques qui s’était approché a un brusque mouvement de recul et vient heurter l’inspecteur. Se retournant pour fuir l’horreur il se trouve alors face à un être qui n’a plus rien d’humain, monstre cornu qui de la main lui montre le bureau. Une voix rauque intime à Jacques l’ordre de s’en approcher.
Une feuille de parchemin noircie de lettres calligraphiées, un contrat entre Jérôme et celui qu’on n’ose pas nommer. Il manque la signature en lettres de sang, on dirait que Jérôme est mort avant d’avoir pu parapher.
Vois-tu, Jacques, ton héros, tu aurais dû le choisir en meilleure santé. Il me faut une âme et la sienne m’a échappée.
La voix du grand Bouc semble alors presque humaine avec une pointe d’amertume.
Que faut-il que je fasse ? Demande Jacques.
Trois fois rien, une signature faite avec ton sang me suffira.
Si je refuse ?
Tu connais la fâcheuse habitude qu’ont les murs de cet appartement à vouloir de rapprocher et l’aptitude de cet immeuble à disparaître de la réalité. Ce sera ton tombeau Jacques, un tombeau où tu seras enfermé vivant pour une éternité.
Jacques se saisit de la plume, se pique le doigt et signe. Puis il roule le parchemin et le tend au démon.
Tiens ta part du marché, maintenant que j’ai rempli la mienne. Dit Jacques avec une fausse assurance.
Le Diable déroule le parchemin, admire le tracé de ce J majuscule en lettre rouge sang ; il claque des doigts.
Jacques se réveille de bonne humeur, grasse matinée, enfin presque, il n’est encore que huit heures et quart. Curieux cette impression de déjà vu.
Dans un ailleurs peu fréquentable le Diable jubile, il a gagné une âme. Il n’est pas pressé, un an, dix ans, cinquante ans, qu’est-ce donc, comparé à l’éternité. Un dernier coup d’œil, pour le plaisir, au parchemin.
Mais là, il pousse un cri de rage et devient vert. Il s’est fait duper, lui, le grand menteur. Ce J qu’il a admiré, ce J qu’il a pris pour la première lettre de Jacques…
Il lit la signature apposée en bas du parchemin : Jérôme.
Que faire, retourner à l’attaque, il ne le peut et il le sait. Alors, le Diable, penaud, retourne à ses foyers. De toute façon, ici, il est grillé.