Apparition.
Jacques n’a pas le souvenir de cette folle embardée aux basques du malin, tout au plus quelques flashs. Il en est toujours ainsi, des rêves qui s’évanouissent sans que l’on ne puisse rien faire pour les retenir.
La radio gazouille, elle vient juste d’annoncer les températures prévues, presque estivales, seize degrés le matin et vingt-deux l’après midi.
Petit déjeuner copieux, une fois n’est pas coutume, un œil distrait à la feuille de chou de la veille qu’il n’a pas pris le temps de lire. Il termine de se préparer. Ce matin il va écrire, il est bourré d’idées, un roman à terminer. Son roman ! Il attaque la troisième page.
On sonne !
On a sonné et on insiste, il y a quelque chose d’obscène dans ce carillon qui vient le tirer de ses rêveries. Qui cela peut-il bien être ? Il n’attend personne.
La porte s’ouvre.
Elle est là, hésitante, craintive, si belle.
Jacques ne réalise pas tout de suite.
Que ce merveilleux petit bout de femme s’invite ainsi chez lui, sans même prévenir, semble tellement irréel… Elle semble s’impatienter. Il s’avise enfin qu’il la fait attendre depuis une bonne minute à la dévisager comme si elle était un extra terrestre… Vraiment extra.
Il l’a enfin installée dans le salon, lui a offert de s’asseoir dans le grand canapé, celui dont on a du mal à s’extraire et qui offre juste de la place pour deux… Sait-on jamais, si la matinée continue aussi bien qu’elle a commencé.
Il s’active, ramasse deux ou trois affaires qui trainent, arrange une pile de revues sur la petite table basse, lui propose à boire, disparaît et réapparaît quelques minutes plus tard avec un plateau, deux tasses, la cafetière, le sucre, le lait, les petits gâteaux… Le grand jeu, quoi !
Vous ne me reconnaissez pas ?
La question vient de tomber comme un pavé dans un saladier de crème fraiche. Il reste là, stupide, les bras ballants. L’air de rien, son cerveau s’est mis à scanner à la vitesse de la lumière, toutes les ex-copines, les ex-petites amies, les ex-rencontres d’un jour. Rien n’y fait, il ne voit pas. Il ose un timide : « Je devrais »
C’est vrai que vous ne vous êtes guère attardé sur mon portrait, je n’étais qu’un faire valoir.
Sans être celui des reproches, le ton prend une tournure qui met Jacques dans l’embarras. Comment aurait-il pu laisser sur la touche une fille aussi jolie.
Je m’appelle Carole et j’ai besoin de votre aide.
Carole, ce nom lui semble familier, Carole… Il ne parvient pas à se rappeler…
Je suis la copine de Jérôme ou supposée telle, car là non plus vous n’avez pas été très explicite, vous n’avez pas eu le temps, je suppose.
Carole, Jérôme, nom d’un chien ça recommence. Mais pourquoi pense-t-il : « Ca recommence… ». Il lui semble tout à coup que Jérôme s’est immiscé dans sa vie plus qu’il n’aurait dû, sans pouvoir en discerner les circonstances. Mais le réalisme reprend ses droits.
Comment ça, Carole la copine de Jérôme… De quel Jérôme parlez-vous ?
Vous savez bien… Le Jérôme du soixante-douze bis, rue de l’Assomption.
Jacques venait juste de reposer sa tasse, heureusement pour le tapis persan (Made in RPC)
Mais ce n’est pas possible, vous me faites marcher. A quoi jouez-vous au juste ?
Je ne joue pas, j’ai besoin de votre aide pour retrouver Jérôme.
Les personnages de fictions ne peuvent venir importuner leur créateur.
Pourquoi ? Ca ne se fait pas ?
C’est absurde !
Vous croyez en Dieu ?
Pardon !
Je vous demande si vous croyez en Dieu.
Euh, oui, un peu.
Vous imaginez Dieu vous répondre comme vous le faites avec moi !
Mais je ne vois pas le rapport, vous n’existez pas.
Vous voulez toucher ?
Prestement, elle a retiré son pull et apparaît en soutien-gorge.
Mais vous êtes folle !
Qu’importe qu’une personne qui n’existe pas soit nue devant vous !
Il m’importe, à moi… Vous avez gagné, vous existez mais alors, c’est un canular.
Pour un auteur de fictions, je vous trouve drôlement conformiste, vous rejetez d’emblée ce que vous ne comprenez pas.
D’accord, expliquez-moi.
Il n’y a rien à expliquer, il faut m’aider à retrouver Jérôme. C’est vous qui l’avez fait disparaître.
Pourquoi dites-vous cela ?
Vous êtes l’auteur, non ?
Ok ! Où a-t-il disparu d’après vous.
Je ne sais pas, mais il aurait dû se trouver au soixante-douze bis, rue de l’Assomption.
Elle n’existe pas.
Qui ça ?
La rue de l’assomption n’existe pas.
Mais j’en viens ! Bien sûr qu’elle existe.
Bon, dans ce cas, vous n’avez pas besoin de moi.
Si ! Je ne suis pas sûr de savoir y retourner et je n’y ai pas trouvé Jérôme ni de numéro soixante-douze bis.
C’est normal, c’est moi qui ai tout inventé.
Alors, vous voyez que j’ai besoin de vous.
Une telle logique laissa Jacques pantois. Finalement, que risquait-il, à se balader au côté d’une fille ravissante qui n’existait pas… En sortant, il fut surpris de ne pas voir de voiture, pourquoi surpris…