Les Agents Secrets
Le rideau se lève sur le bureau de Walter Marott. Physiquement, ce dernier est robuste et haut de taille. Sa chevelure argentée, ondule en encadrant sa figure empâtée. Il se tient debout devant Derek Stevens, son meilleur agent, un super-spy. Ce dernier est assis dans un fauteuil, près du bureau. C’est un homme d’une quarantaine d’années. Sous son air impassible, il donne l’impression d’être un homme d’une force terrible
Scène première. - Marcott, Stevens.
Marcott : S’il ne vous donne pas le message ou si vous jugez que celui qu’il vous remet n’est pas « catholique », alors tuez-le.
Stevens : Vous dites cela d’une voix aussi anodine que s’il s’agissait de lui offrir un verre.
Marcott : Mais c’est exactement ce dont il s’agit ! Un verre. Seulement dans ce verre vous aurez pris la précaution d’y mettre ce qu’il faut pour qu’il n’ait plus le temps de vous offrir la rince.
Stevens : Vous n’êtes pas drôle, Marcott ! L’homme que vous me demander, avec tant d’indifférence, de supprimer, en vaut dix comme vous.
Marcott : (Vexé.) Faites attention à ce que vous bavez, Stevens ! Vous risquez de vous attirer des ennuis ! (Se calmant et faisant contre mauvaise fortune bon cœur.) Voyons ! ce que je vous en disais, c’était seulement en cas de coup dur.
Stevens : Petrov Ostrofsky est un agent du KGB, mais il est réglo, lui au moins.
Marcott : Qu’osez-vous dire par là !?
Stevens : Pour oser, il faut d’abord, craindre et je ne crains personne. Je ne fais donc que constater. Petrov est, à sa façon, un joueur honnête. C’est un des rares survivants de la guerre froide. Un vieillard, dans notre métier. Et moi, je suis un chasseur qui ne tue pas sans hésiter, un animal qui a lutté longtemps contre la nature et réussi à vieillir.
Marcott : Il m’est impossible de vous contredire, du moins sur le fait qu’il s’agit en effet, d’un animal.
Stevens : Marcott, vous me dégoûtez !
Marcott : Je vous dégoûte !? Et vous, mon cher Derek, vous me faites pitié ! Le meilleur Agent de la CIA qui se transforme tout à coup, en un philosophe scrupuleux !
Stevens : Vous ne savez même pas ce que c’est que la philosophie et encore moins les scrupules, alors pourquoi en parler ?
Marcott : Derek, vous commencer vraiment à prendre l’accent de tous ces libéraux, anti-américains, qui désirent plonger le pays dans le chaos !
Stevens : (Sur un ton calme mais menaçant.) Fermez-la, Marcott ! Vous et tous les membres de votre club, vous n’admettez pas qu’une opinion diffère de la vôtre ! Toute pensée différente de celle de votre parti politique, est pour vous, une pensée contraire ! Vous considérez l’humanité comme de la faiblesse et l’honneur, comme un déshonneur ! Vous déformez tout !
Marcott : C’est à vous de la boucler ! Vous n’êtes qu’un tueur professionnel ! Mais n’oubliez pas que sans cette profession - que je peux, d’un geste, vous ôter, vous passeriez à celle, moins honorable, de vulgaire meurtrier.
Stevens : Si je tue, c’est afin que des millions d’américains ne soient pas tués ! C’est du moins, ce que vous m’avez raconté et que j’ai fini par croire !
Marcott : Vous ne faites rien, en ce moment, pour me le démontrer.
Stevens : Et vous !? Que faites-vous ? Qui êtes-vous ? Un bureaucrate, le chef des tueurs qui, toute la journée, donne des ordres afin que d’autres aillent risquer leur peau à sa place, et qui, une fois cette journée « harassante », terminée, s’en retourne tranquillement chez-lui, auprès de sa femme. Ah ! Oui ! Vous êtes un grand américain !
Marcott : Fichez-moi la paix ! (Pause.) Très bien ! Je suis un bureaucrate ! Mais n’oubliez pas que sans les bureaucrates, le pays s’arrêterait de fonctionner. Paralysé ! La proie des Commies ! Me reprocher d’être assis derrière mon bureau, c’est reprocher à un prêtre d’être à genoux dans son église !
Stevens : Ah ! Ne me faites pas rire avec vos « divines » comparaisons ! Vous et tous ceux de votre parti, parlez beaucoup des prêtres et des églises, mais ce n’est, en vérité, que pour vous garantir l’appui des religieux fanatiques !
Marcott : Taisez-vous ! Vos propos, non seulement, frisent le blasphème, mais sentent le Rouge. (Sur un ton conciliatoire.) Enfin ! que se passe-t-il, Derek ? Cela ne vous ressemble pas. Je vous trouve bizarre.
Stevens : Cette mission ne me plaît guère.
Marcott : Depuis quand faut-il que votre boulot vous plaise ?
Stevens : Justement, ce travail n’est pas mon boulot ! Pour simplement recevoir un message, vous n’avez pas besoin de moi. N’importe quel jeunot, rempli d’ambition ferait l’affaire.
Marcott : Vos nerfs vous ont-ils lâché ?
Stevens : Je ne vous conseille pas de les mettre à l’épreuve.
Marcott : Ce n’est pas moi qui vous ai choisi.
Stevens : Vous mentez, Marcott !
Marcott : (Il va s’asseoir à son bureau.) Disons, que je vous ai recommandé.
Stevens : Pourquoi ?
Marcott : C’est top secret.
Stevens : (Il fait mine de se lever.) Alors, allez vous faire foutre !
Marcott : Attendez ! Si je vous le dis, me promettez-vous de n’en souffler mot à personne ?
Stevens : Ah ! Elle est bien bonne, celle-là ! Cela fait vingt ans que je risque mes fesses pour vous et notre beau pays et vous me demandez de vous faire des promesses ?
Marcott : Ne vous emballez pas, Derek ! Je vous l’ai dit, c’est un secret d’état.
Stevens : Des secrets d’états, j’en ai plein les poches. Si je voulais les déballer, je ferais transpirer tout le service, vous, y compris....
Marcott : (S’agitant sur son siège) Je vous en prie ! Soyez compréhensif.
Stevens : Je regrette ! Je travaille dans l’ombre mais pas dans le noir ! Trouvez quelqu’un d’autre.
Marcott : C’est bon ! C’est bon ! Je vais tout vous dire.
Stevens : Je vous écoute.
Marcott : Je ne vous en avais jamais parlé mais, puisque nous en avons l’occasion aujourd’hui... eh bien voilà... Le mur de Berlin va tomber...
Stevens : (Éclatant de rire.) C’est ça votre secret ? Tout le monde s’y attend. En tout cas, moi, je le savais. Vous devez faire mieux que ça, Marcott, pour me convaincre.
Marcott : Cette mission sera la dernière, je vous le promets... du moins, la dernière mission de ce genre.
Stevens : Vous ne m’avez toujours pas répondu. Pourquoi moi ?
Marcott : Le message est d’une importance vitale. C’est le dernier message ! Vous comprenez ? Avant que le mur ne tombe, il nous faut ces renseignements !
Stevens : Qu’y a-t-il dans ce message ?
Marcott : Une liste.
Stevens : De quoi ?
Marcott : Une liste de noms.
Stevens : Quel genre de noms ?
Marcott : Je ne peux vous en dire plus.
Stevens : C’est bon. Je n’ai plus envie de discuter.
Marcott : Vous refusez ?
Stevens : Non. J’accepte. Je préfère me faire refroidir par les Commies que vous laisser m’échauffer les oreilles plus longtemps. Vous gagnez.
Marcott : Je gagne, Stevens, mais vous, vous ne perdez pas. Et savez-vous pourquoi ?
Stevens : Je m’en fous.
Marcott : (Ignorant la remarque et continuant sans transition.) Même si je ne vous avais rien dit du tout, vous auriez accepté la mission. Et savez-vous encore pourquoi ? (Avec une émotion non feinte, mais qui n’est due qu’à son soulagement.) Parce qu’il y a en vous, une petite veilleuse, qui fait qu’on n’a qu’à tourner le bouton pour faire jaillir la flamme.
Stevens : Oui, comme les fourneaux à gaz.
Marcott : Non. Comme les héros. Stevens vous êtes un héros et cette veilleuse, en vous, c’est ce qu’on appelle le patriotisme. Même si vous saviez que je vous envoie à la mort, vous iriez sans broncher.
Stevens : Écoutez-moi bien, Marcott ! Non seulement vous ne me connaissez pas, mais vous n’y connaissez rien. J’accepte la mission par curiosité. Et si je me fais descendre, je reviendrai pour vous étrangler de mes propres mains. Allez ! Salut, vieux con !
Marcott : (Il met la main dans la poche de sa veste et en retire une enveloppe.) Pas si vite ! Tenez ! Ceci contient ce que vous remettrez à Petrov Ostrofsky en échange de la Liste. Ne l’ouvrez pas. S’il s’aperçoit que l’enveloppe a été manipulée, il se méfiera.
Stevens : Si je voulais m’amuser à l’ouvrir, personne ne pourrait s’en apercevoir.
Marcott : (Affolé.) Je vous en prie, Derek !...
Stevens : C’est bon. N’allez pas vous évanouir.
Marcott : (Rassuré.) Permettez-lui d’en prendre connaissance sur les lieux, avant de vous en aller.
Stevens : S’il ne le fait pas ?
Marcott : Il le fera.Tout est arrangé avec Igor Malin, son supérieur. Ah ! J’oubliai ! (Il ouvre son tiroir et en sort une autre enveloppe. ) Votre billet d’avion ! (En lui tendant le billet.) Vous arrivez demain matin à Orly. Cela vous donne largement le temps. Petrov Ostrofsky vous attend à minuit...
Stevens : (Avec un impatience légèrement feinte.) Vous me l’avez déjà dit ! Au café de Russie ! Un coin tranquille du côté de la Chapelle et dont le nom est parfaitement adapté à la circonstance. Une table à la terrasse ! Petrov doit arriver le premier !
Marcott : Correct ! Quant à vous, vous arriverez avant Petrov, mais uniquement pour vérifier de loin, que ce dernier est bien là.
Stevens : S’il n’est pas là ?
Marcott : Donnez-lui cinq minutes. S’il n’arrive pas, reprenez l’avion ! Mais ne vous inquiétez pas, il sera là.
Stevens : Okay. Alors, à bientôt.
Marcott : Bonne chance. Et n’oubliez pas ! Il est entendu que, dès votre arrivée, Petrov commandera deux whiskies.
Stevens : Ne vous en faites pas...
Marcott : N’oubliez pas aussi qu’en signe de reconnaissance, vous ne devez toucher à vos boissons qu’après « l’échange »
Stevens : Oui. Vous allez me faire manquer mon avion. Salut.
Marcott : Good bye, Derek.
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Le rideau tombe sur le premier tableau
Scène II - Petrov, Stevens, un garçon de café.
Le rideau se relève sur le café de Russie. Stevens traverse la rue et va directement à table de Petrov. Il s’y assoit tranquillement.
Stevens : (Regardant droit devant lui.) Salut Petrov.
Petrov : Salut camarade.
Stevens : Alors, Reagan et Gorbachev, s’entendent-ils toujours aussi bien ?
Petrov : C’est à vous de me dire ça.
Stevens : (Il se retourne brusquement et le regarde dans les yeux. Il ne peut s’empêcher de sourire.) Mon cher vieux Petrov, vous êtes toujours aussi sérieux !
Petrov : Que voulez-vous ! Passée la quarantaine on ne se refait plus. Allons-y, finissons-en !
Stevens : Êtes-vous nerveux ?
Petrov : Non. Seulement, pressé. (Se retournant, il fait un geste pour attirer l’attention d’un garçon.) Garçon !
Stevens : Il ne vous a pas vu.
Petrov : Il m’a vu et entendu. Il va venir. Les garçons de café, à Paris, s’appellent tous Désiré.
Stevens : Dites-moi, Petrov...
Petrov : Da ?
Stevens : Vous n’en avez pas marre de tout ça ?
Petrov : Tout ça quoi ?
Stevens : Tout ça ! Les Blancs, les Rouges ! Les chasseurs et le gibier ! Le danger ! Vous ! Moi !
Petrov : Vous ? Vous êtes, tout ce qu’il me reste ! Je n’ai plus personne. Quant au danger ? Je n’ai plus que ma peau et quelques vieux os à perdre. Je tombe en ruines.
Stevens : En parlant de ruines, savez-vous que le mur de Berlin va bientôt s’effondrer ?
Petrov : Oui, je sais. (Apercevant le garçon de café se dirigeant vers eux.) Vous voyez ! Qu’est-ce que je vous disais ? Voilà Désiré qui s’amène.
Le garçon : Messieurs ?
Petrov : Deux whiskies. (Le garçon s’incline et s’en va.)
Stevens : Dites-moi, Petrov...
Petrov : Quoi, encore ?
Stevens : C’est pas mes oignons, mais, puis-je vous poser une question ?
Petrov : Ça fait longtemps que mes oignons, sont les vôtres. Alors, ne vous gênez pas.
Stevens : Eh bien, voilà. Je suis curieux d’une chose.
Petrov : Vous avez toujours été trop curieux, Stevens.
Stevens : C’est pour ça que je suis toujours en vie.
Petrov : Bon, ça va. Que voulez-vous savoir ?
Stevens : Est-ce qu’on vous a dit, pourquoi vous avez été choisi pour cette mission ?
Petrov : On ne me dit jamais rien. C’est à moi de deviner.
Stevens : Et alors ?
Petrov : J’en sais rien. Mais si vous voulez la vérité, je suis bien content que, de votre côté, ce soit vous qu’ils aient choisi.
Stevens : C’est pareil pour moi, je suis venu parce que c’est vous...
Petrov : C’est gentil.
Stevens : C’est prudent.... (Il s’arrête en apercevant le garçon, de retour avec la commande. Ce dernier pose les verres de whisky sur la table et se retire.)
Petrov : Nous sommes servis. Vous ne buvez pas ?
Stevens : Petrov, ne faites pas l’enfant.
Petrov : Ah, oui ! Vous attendez que je sorte le document.
Stevens : Si cela ne vous dérange pas trop.
Petrov : Pas du tout. A condition que vous m’imitiez..
Stevens : Petrov !
Petrov : Quoi encore ?
Stevens : Mon instinct me dit qu’il y a quelque chose de louche là-dessous.
Petrov : Moi aussi.
Stevens : Pourquoi nous ont-ils choisi pour une mission aussi simple ?
Petrov : Je me suis posé la même question.
Stevens : Et alors ?
Petrov : Et alors ? Cessez de perdre du temps ! Faisons, comme d’habitude, ce qu’on nous a dit de faire, et puis c’est tout !
Stevens : Non, Petrov. Non ! Cette fois-ci, nous n’allons pas faire ce qu’on nous a dit de faire !
Petrov : Êtes-vous devenu subitement fou !?
Stevens : Au contraire. J’en ai marre de ces bureaucrates qui tirent les ficelles. Ils s’en foutent si on crève.
Petrov : Crever, c’est notre boulot.
Stevens : Crever c’est notre boulot, dans la mesure où notre mort servirait à quelque chose.
Petrov : Vous vous trompez ! Crever fait partie du métier que vous et moi avons choisi.
Stevens : C’est vous qui vous trompez ! La mort, pour moi, n’est qu’une monnaie d’échange pour en épargner des millions d’autres. J’ai fait ce que j’ai fait parce que j’ai cru au danger d’une troisième guerre mondiale...
Petrov : Vous n’osez pas dire : au danger du communisme, c’est ça, n’est-ce pas ?...
Stevens : Si cela vous fait plaisir. Quoi qu’il en soit, j’ai cru à ce que l’on m’a fait croire ! On ne peut agir dans la vie, qu’en connaissance de cause. Le reste, l’instinct, la force, l’habilité, enfin, tout ce qu’on développe avec l’entraînement, fait partie du métier, mais l’action, l’action, elle-même, ne peut être déclenchée qu’après analyse des données. Si les données sont fausses, si les renseignements sont falsifiés, si l’on me trompe, alors makache ! Je ne marche plus.
Petrov : J’ai toujours été un communiste loyal ...
Stevens : Sans jamais vous poser de questions ?
Petrov : Disons,... sans me poser de questions qui n’ont pas de réponses. Quant à mes actions, elles ne sont pas basées sur des données mais sur un choix, donc, sur le devoir qui est l’expression du respect de ce choix.
Stevens : Chacun a le droit de choisir, si vous me permettez l’expression, son propre poison. Mais que faites-vous de votre devoir envers vous-même ?
Petrov : Cela porte un autre nom : l’égoïsme !
Stevens : L’égoïsme, hé ? Alors, voilà ! (Il sort de sa poche une enveloppe qu’il dépose devant lui.) Savez-vous ce que doit contenir cette enveloppe que je vous apporte et pour laquelle on vous a envoyé ici ?
Petrov : Une liste de noms.
Stevens : Eh bien, sachez qu’elle ne contient rien qu’une feuille blanche !
Petrov : Vous l’avez ouverte ?
Stevens : Oui.
Petrov : Pourquoi m’avouer cela ?
Stevens : (Ignorant la question.) Que comptez-vous faire hé, avec votre devoir ?
Petrov : (Avec insistance.) Pourquoi m’avouer cela ?
Stevens : Parce que cela change toute l’affaire.
Petrov : (Il sort l’enveloppe de sa poche et la pose sur la table.) Cela, mon vieux, ne change rien à l’affaire ! Cela ne fait que la rendre plus difficile.
Stevens : Comment ?
Petrov : Tenez ! Je vous rends la politesse : cette enveloppe ne contient pas plus d’informations que la vôtre !
Stevens : Je m’en doutais.
Petrov : Nos chefs semblent s’être bien entendus.
(Les deux espions ramassent l’enveloppe qui leur revient. Ils l’ouvrent mécaniquement, sans précipitation..)
Stevens : (Sur le ton de la constatation.) La feuille est vide.
Petrov : (Sur le même ton.) Juste au moment où le mur va tomber.
Stevens : Qu’allez-vous faire, maintenant ?
Petrov : Mes instructions, dans ce cas, m’obligent à vous liquider.
Stevens : Vous plaisantez ! Vous persistez à vouloir faire votre devoir ?
Petrov : Oui. Comme vous, vous allez faire le vôtre.
Stevens : Si je vous jure que, cette fois-ci, j’y renonce, que ferez-vous ?
Petrov : Je vous éliminerai quand même.
Stevens : Mais pourquoi ? Ne comprenez-vous donc pas que c’est un coup monté entre nos deux services ? Il veulent se débarrasser de nous et pour cela, ils ont choisi de nous faire nous entretuer !
Petrov : Hé ! Que voulez-vous ! Nos gouvernements n’ont plus besoin de gens comme nous...La guerre froide va se terminer, mais nous, nous n’en sommes pas encore sortis. C’est pour cela que ... (Il lève son verre pour souligner le sous-entendu.) nous devons trinquer...
Stevens : Ce n’est guère le moment de faire de l’esprit.
Petrov : Je suis réaliste.
Stevens : Vous êtes fou !
Petrov : Nous sommes déjà morts.
Stevens : Pas encore !
Petrov : Que voulez-vous faire ? Fuir en Amérique du Sud ?
Stevens : Pourquoi pas ? Il y a de belles femmes, là-bas.
Petrov : (Souriant tristement.) Vous n’avez pas changé, camarade.
Stevens : Je vous offre la vie.
Petrov : Comment pourrais-je vous faire confiance ?
Stevens : En y réfléchissant, ce serait plutôt à moi de me méfier de vous.
Petrov : Vous n’avez rien à craindre. (Levant son verre.) Paix sur la terre !
Stevens : Avant de célébrer : qu’avez-vous mis dans mon verre ? Cyanure ? Strychnine ?
Petrov : Pourquoi cette question ? Vous avez bien vu que je n’ai rien pu mettre dans votre verre que vous n’avez pas lâché des yeux.
Stevens : Avant de venir m’asseoir avec vous, je vous ai observé de loin et je vous ai vu longuement bavarder avec Désiré.
Petrov : Vous croyez que ce pauvre garçon est un de mes hommes et que je lui ai donné l’ordre de verser du poison dans votre verre ? Pourquoi l’aurais-je fait, mes instructions ne m’obligeaient à vous supprimer qu’en cas d’urgence ! Je ne pouvais pas prévoir ce qui vient de se passer.
Stevens : Vous êtes futé ! Vous auriez pu, sinon prévoir le coup fourré, du moins, mettre votre porte de sortie, à l’entrée. Quitte à m’empêcher de boire si l’affaire avait marché.
Petrov : C’est ce que vous avez fait ?
Stevens : Ce n’est pas moi qui suis arrivé le premier. Et, en aurais-je eu l’idée, que je n’aurais pas eu le moyen d’agir.
Petrov : Je n’en suis pas si sûr ! On vous sait très habile avec vos mains.
Stevens : Pourquoi buvez-vous donc ?
Petrov : Bof ! Pour vérifier.
Stevens : Si je vous ai versé du poison ?
Petrov : Da.
Stevens : Alors, dans ce cas, je vérifie également car j’ai plus de raisons de me méfier de vous.
Petrov : (Levant son verre.) Vérifions !
Stevens : (Levant son verre.) A la vie !
Petrov : Peut-être...
Ils trinquent et boivent pendant que rideau tombe.
FIN