Le vent, saccadé, rafraîchit son visage essoufflé par à-coups. Un pas en arrière, est-ce stupide de penser qu’on est arrivé au bout de la route ?
Camille repense à l’école, au temps passé à découvrir de nouveaux mots dans le dictionnaire, comme si le verbe ‘agréer’ permettait de mieux communiquer quand il n’y a rien à dire.
Le vent, un peu plus insistant, une poussée plus forte, presqu’amicale, dans le dos, un pas en avant, on lui trouvait du talent, elle n’y a jamais cru, à quoi bon s’acharner, à quoi bon résister. C’est quoi le destin quand on n’est plus que le spectateur impuissant de sa propre vie ?
Le vent fou, un geste fou, un geste indispensable pourtant, choisir, en avoir le droit, se le donner, oser.
Le vent, chaud comme le pain qu’elle allait chercher le dimanche matin, à quoi bon les dimanches quand il n’y a plus de jours de semaines. Quand on se retrouve seule, dans un face à face insupportable, trop pesant, assassin.
Le vent, s’il pouvait l’aider à tourner la page, une page plus blanche, plus belle, une nouvelle première page...
"Une dégénérescence du cartilage des articulations sans infection ni inflammation particulière, vous comprenez, c’est ça l’arthrose", c’est bizarre, comment se fait-il que le vent lui ramène cette voix, à ce moment précis ci ? Le cœur n’a pas de cartilage et pourtant le sien s’ankylose douloureusement, question d’articulation bien entendu, il ne relie plus à rien, une dégénérescence sans "enflammement", sans ’affection’ particulière...
Le vent, l’incroyable douceur du vent sur son visage, la pression aussi, de plus en plus rapide et qui la fait involontairement sourire.
Le vent l’emporte,
elle qui rêvait d’aller plus loin,
plus haut,
le dos tourné,
comme le ciel sur le chrome des réverbères.
Elle se dit, étrangement, "il faudra trouver une chute à ce nouveau thème du mois".
Son visage est incroyablement paisible, comme enfin rassuré, il est entouré d’une large couronne rouge contrastant avec la douceur bleue de ses yeux.
La chute a duré 27 secondes.
Le vent ne souffle plus sur le visage de Camille.
Elle avait 23 ans, un terrible secret à porter, seule, un poids trop lourd, n’importe qui vous le dira, ce n’est pas elle qui devrait se trouver là, dans cette église de campagne, au milieu de cette foule anéantie, stupéfiée, à jamais mutilée, la police n’a pas retrouvé ceux qui l’ont agressé, elle rêvait du grand amour, seul le vent, pensait-elle, peut purifier, seul le vent peut libérer,
seul le vent... connaît la vérité...