Je comprends pas pourquoi ils disent qu’il y a de la violence à l’école. Y disent tout le temps qu’y’en a. Et moi je comprends pas. Pourtant, à l’école, j’y vais. Mais j’ai encore rien vu de ce qui est de la violence. C’est tranquille !
Bon ! C’est vrai que des fois on se tape un peu dessus. Mais c’est pour rire. Attends ! C’est vrai, quand on chope un petit pour lui foutre une rouste, c’est pour rire. Y’en a qui comprennent pas.
Moi aussi, quand j’étais petit, les grands ils riaient, avec moi, sous les marronniers dans le coin où on peut pas s’enfuir. Je prenais des dégelés monstres. C’était comme ça. Ils riaient.
La première fois, au moins, tu pisse dans ton kimono et du sang coule de ton nez. Après, t’apprends l’orgueil et le vice. T’as compris comment ça marche et si t’en reçois, des coups, t’en donnes aussi. Des coups de poings dans les couilles. Ca fait mal. Des coups de coudes dans le ventre, dans le foie. Ouille ! Et puis, les grands, à la fin, y z’arrêtent parce qu’il voillent bien que tu te laisses pas faire.
Ben là, c’est moi qui cogne ! C’est la vie ! Non ?
Je me suis fait virer trois fois l’an dernier, à cause de ça. Mais comme je suis vach’ment bon, en cours, y me reprennent comme si de rien n’était. Sauf qu’à la dernière, y z’ont voulu que j’aille voir M. Martin chez qui je m’assois dans un grand fauteuil et qui me fait parler pour savoir ce qui va mal alors que rien va mal puisque c’est moi qui suis grand et que c’est moi qui cogne.
M. Martin, y veut savoir si ya des problèmes à la maison mais y’en a pas depuis que Papa s’est barré et que Maman travaille jusqu’à tard le soir. Je suis tout seul. Y’a pas de problème quand je suis tout seul. Je ne vais quand même pas me foutre sur la gueule tout seul ! N’importe quoi lui !
Quand je rentre de l’école, je fais mes devoirs avec Rachid et je l’aide à faire les siens, on va goûter chez sa mère au 4e et puis je redescends, je regarde la télé, je mange ce qui y’a dans le frigo, je joue à la console et je lis jusqu’à ce que ma mère rentre et je vais me coucher. Je vais bien, quoi !
Ma mère, elle me ramène tout un tas de livres de son boulot, et des magazines de chez l’imprimeur. C’est pour ça, aussi, que je suis bon à l’école.
J’aurais toujours la première place si y’avait pas l’Elisabeth, là, que je traîne depuis la maternelle. Elle est con, elle est tellement moche qu’elle doit rien d’autre avoir à faire dans sa vie que ses devoirs.
Aussi, faut pas travestir, si j’chuis pas premier, c’est à cause de la discipline, à cause des petits que je tape.
A Mme Carolo, l’année dernière, j’avais promis de plus le faire, me battre. Et j’ai tenu, je sais pas, au moins deux semaines. Au moins ! Et puis j’ai arrêté parce que les petits, et les autres, y sont venus voir ce qui se passait et quand je leur ai dit, y se sont mis à me traîter, à me cracher dessus. J’ai craqué quand Kevin Tichin m’a pris mon cartable et a pissé dedans. Je l’ai choppé, après et je lui en ai mis une genre grand format panoramique.
C’est après ça que je suis allé voir M. Martin.
A la fin de l’année, bien sûr que je passais en CM2, même s’ils ont pas voulu me donner les félicitations tant que Kevin avait le bras dans le plâtre et la gueule de travers. Et les vacances ont commencé.
Mal commencé ! Puisque ma grand-mère Vana elle est tombée malade et donc je pouvais pas aller, comme d’hab’ chez elle. Ma mère elle travaillait les deux mois mais, si je sais me débrouiller tout seul, elle m’a dit que je resterai pas deux mois comme ça parce qu’à mon âge, déjà, il y a des tentations. Comme s’il y’en avait pas le reste de l’année ! Elle m’a dit, tu sais, les grands, avec la drogue - tu parles, j’ai goûté, toussé, gerbé et c’est dégueu - et puis les mobylettes, et puis les vols, et puis ... La zone quoi ! Alors, elle m’a dit qu’elle en avait parlé avec M. Martin et que je pouvais partir en colonie de vacances avec la ville. En quoi ? En colonie de vacances, dans les Alpes. Les quoi ? A la montagne où tu te feras un tas de copains soit du quartier, soit des autres et tu verras, c’est vach’ment bien de se déplacer.
C’est comme ça que je me suis retrouvé un samedi dans une fusée pour les Alpes, que j’avais jamais vues avec des garçons et des filles que j’avais jamais vus. J’vais pas tout raconter mais, en gros, les premiers jours, c’était pas cool, à tout faire tout ensemble avec ces durs à séduire et les derniers jours, c’était pas cool non plus parce qu’on savait bien qu’on ferait bientôt plus rien ensemble entre potes, entre frères, et c’était plutôt triste mais comme on était tous de la ville, au mois d’aût, on s’est revus, tous ou presque sauf ceux qui étaient barrés au bled ou chez leurs grands-parents.
Je leur ai présenté Rachid, j’ai rencontré leurs potes et on a fait du foot, des ballades à vélo, des virées dans les pommiers comme dans les rayons du Sumaprix pour le ravitaillement. J’ai embrassé une fille. Un vach’te d’été, y’a pas photo puisque, dans le même temps, M. Martin s’est installé à la maison, dans la chambre de ma mère et que, si c’est pas mon père, c’est mieux, parce qu’il est plutôt gentil et que si je dois le revoir pour l’école, je préfere qu’il sache que tout va bien, à la maison, sans douter de c’que j’dis. Et puis, y’a deux jours, on est rentré, et il pleuvait.
Ouais, j’aime bien l’école. Même quand je suis dehors pour trois jours à cause de la violence à l’école que c’est même pas de ma faute. C’est vrai !
J’étais à peine dans la cour que ce con de Kevin, il me saute dessus pour m’en mettre une comme quoi il a passé des vacances pourries à cause de son bras et de sa gueule. Alors il me met des coups et moi je me défends en le mettant par terre et en le frappant aussi un peu et, pour qu’il arrête de me taper, je lui choppe les bras et, sans le vouloir, j’entends "crack !" et son autre bras qui pète et moi qui suis dehors.
Mais y vont me reprendre parc’que chuis vachement bon en cours.