L’urgence de la vie était là, dans cet instant précisément.
Il y avait eu cet ultimatum qui avait finalement remis les priorités dans chaque seconde qui me restait. Mais au fond je me demandais, si j’en avais eu conscience plus tôt, est ce que ma vie aurait changé ? Nous avions tous cette urgence, mais la différence c’est que peu d’entre nous en avions la conscience. Alors soudain pour moi tout était clair.
Un peu comme lorsque dans votre verre on vient de vous verser un vin millésimé. Même si vous n’êtes pas connaisseur, vous en savez par instinct toute la valeur. Vous la sentez dans son parfum, vous la voyez dans sa robe, et dans votre bouche il déverse toute sa pureté. Vous fermez les yeux et vous savez que ce nectar est un bien précieux qui ne vous sera pas toujours offert.
Il en était de même de ce sentiment étrange qui était né en moi ce jour là. Moi qui avais toujours fait les choses si raisonnablement, de manière si calculée et si anticipée, je m’étais enfin laisser aller à vivre cet instant.
J’avais depuis mon enfance une liste dans ma tête de priorité à accomplir sur terre… oui je suis une grande rêveuse !!
Je voulais piloter un avion, un petit Cesna, j’avais réalisé ce rêve sur l’Ile de la Réunion. J’avais aussi conduit un semi remorque, ça c’est mon frère qui en douce m’avait laissé le volant. J’avais piloté sur les canaux de Hollande le yacht d’un oncle… bref il ne me manque qu’un train et peut être un hélicoptère…
Mais une de mes grandes priorités sur ma liste était de posséder un jour un petit cabriolé.
Cette nuit là, une hémorragie pulmonaire avait plongé ma vie dans son urgence et c’est bête à dire mais comme à l’époque j’étais très seule, ce fut dans cet instant là mon plus grand regret, ne pas avoir réaliser ce rêve là. Lorsque le jour s’est levé sur cette nuit blanche, (enfin assez rouge je dois dire aussi), je me suis préparée et je suis partie chez mon concessionnaire. Il m’a regardé assez effaré pour deux raisons. La première parce ma lividité était spectaculaire et la deuxième car pas moins de six mois en arrière je venais de lui acheter une petite voiture citadine, économique, et surtout très neuve. Sur l’instant, il avait pensé qu’elle était défaillante et que je n’en voulais plus.
Je l’avais regardé droit dans les yeux et je lui avais dit :
« je viens acheter le cabriolet gris que vous avez là bas »
Je n’oublierai jamais sa tête. Et malgré toutes les bonnes raisons qu’il m’avait argumenté, deux jours plus tard je sortais de la concession avec mon cabriolet.
J’avais dix ans dans ma tête… et je réalisais comme d’un grand moment de détresse avait pu naître cet immense bonheur.
Depuis, ma conception de la vie et ses urgences a totalement changé. Cet instant précisément a bouleversé bien de mes certitudes et m’a ouvert au monde différemment. Aujourd’hui tout ce que la vie me donne, je le prends sans plus réfléchir… mais juste savourer.
Les autres passent leur temps à nous dire qui nous sommes, nous ne devons jamais les laisser faire. Car personne n’est mieux placé que nous pour savoir qui nous sommes. Et nous avons en nous tout le potentiel pour réaliser nos rêves les plus fous… avant qu’il ne soit trop tard !