Cela a commencé il y a, combien déjà, sa notion du temps lui semble altérée, disons trois mois, oui c’est ça, trois mois et sept jours très précisément, il s’en rappelle bien maintenant c’était le jour de l’anniversaire de sa charmante épouse.
C’est étrange comme ce souvenir ressurgit avec son cortège d’horreur. Cette indicible horreur qu’il a du mal à comprendre aujourd’hui, comme quoi la peur de l’inconnu a quelque chose de bien irrationnelle.
Il se souvient. Fred est en retard, Fred, le frère de son épouse. En fait, Fred ne devait jamais arriver.
Le téléphone sonne. La police, un accident sur la route 47, il doit s’y rendre de suite. Il ne dit rien à sa femme pour ne pas l’affoler, il craint le pire, il use d’un prétexte futile pour s’absenter une heure, il sera de retour pour dix-neuf trente au plus tard.
Sa crainte était fondée. Les flics l’ont contacté pour identifier le corps, celui de Fred.
C’est étrange, le choc ne semble pas avoir été violent, la ceinture, au dire de l’agent arrivé le premier, était bien attachée. Quand on soulève le linge couvrant la face de Fred, Paul a un mouvement de recul, le masque grimaçant de son défunt beau-frère exprime de la terreur.
Le lendemain le verdict tombe, tristement banal, crise cardiaque.
Paul ne peut s’empêcher de sourire, il aurait plutôt imaginé son beau frère décédant d’une crise de fou-rire.
Paul se souvient du malaise qui l’a gagné alors, un malaise qui ne l’a plus quitté.
Le malaise a été grandissant, la présence s’est faite de plus en plus palpable, une peur irraisonnée s’est installée, se transformant en terreur, presque en folie.
La traque a alors commencé, une lutte intérieure, quelqu’un en veut à son esprit, désemparé, il mène un combat, pour garder le contrôle de ce corps qui semble lui échapper. Pour ses proches, il semble atteint d’un mal étrange, on le met au repos, on l’hospitalise. Le corps devient inerte, assisté, mais en dedans le combat fait rage. Il connaît maintenant son ennemi, cette lutte, virtuelle, inexistante, vu de l’extérieur, est pour lui une épreuve de chaque instant. Il se dit que cela doit être ça, la schizophrénie, deux entités qui se battent pour le contrôle d’un même corps, sauf que dans le cas présent il n’est pas seul, dédoublé, enfin, il croit.
Il fallait chasser la bête dans les moindres circonvolutions de cet amas gélatineux, ce cerveau.
En définitive, il a vaincu, comme d’habitude, il ne lui reste plus qu’à se débarrasser de quelques souvenirs encombrants, mais ils sont tenaces et il finit par se dire qu’il va devoir vivre avec. Cette fusion est imparfaite, il faudra faire avec.
Ces êtres sont étranges, moins aptes à une cohabitation pacifique qu’il ne l’aurait espéré, non qu’il ait quelque scrupule que ce soit, mais il est toujours préférable de conserver une part d’intelligence primitive pour gérer les fonctions naturelles, les mouvements…
Avec Fred cela n’a pas fonctionné. Il n’a pas tenu compte de l’état maladif de sa conquête.
Avec Sophie, la charmante épouse, il a eu la frayeur de sa vie. Il a failli s’embourber, elle est folle, folle à lier, à lier à son destin tout esprit s’essayant à sonder son abîme pathologique.
Voilà, la conquête de la planète va pouvoir commencer, les autres vont pouvoir arriver. Ca ne prendra pas longtemps, quelques milliers de révolution autour de cette étoile qu’ils appellent soleil, et la vie va enfin pouvoir retrouver ses droits.