Vous l’ignorez peut-être, mais les quatre saisons ne sont pas dans les meilleurs termes. Elles vivent les unes après les autres et estiment généralement être la saison principale autour de laquelle s’articulent les autres et sont donc dévorées par le désir de s’étendre en longueur sur le temps imparti aux autres saisons. Du moins, c’était le cas pour trois saisons. En effet, l’été, le printemps et l’hiver étaient tellement gorgés de fierté que prolonger leur temps de règne était devenu une idée fixe. L’automne, elle, s’en moquait. Cette attitude désinvolte passait pour de l’orgueil auprès des trois autres saisons qui finirent par discuter entre elles pour faire courber l’échine de celle qu’ils considéraient déjà comme la « quatrième saison », comprenez la cinquième roue du carrosse ! L’automne, elle, n’était au courant de rien et, je le dis sans modestie, si elle existe toujours aujourd’hui, c’est grâce à mon grand-père !
Ah ! Mon grand-père ! Il est encore aujourd’hui considéré comme le patriarche d’une génération entière de garde forestiers ! Si vous vouliez le trouver, il fallait vous promener en forêt. Je suis sûr que s’il n’y avait pas eu ma grand-mère, le brave homme aurait pu vendre sa maison et passer sa vie entière dans les bois ! Il connaissait la moindre parcelle de la forêt qu’il appelait « sa deuxième épouse ». Il connaissait tous les services que les arbres et les plantes peuvent nous rendre : il savait quelles baies manger, quel bois utiliser pour faire une attelle solide, il mélangeait aussi de l’écorce de bouleau à son tabac pour allumer sa pipe sans difficultés. Bref, il vivait avec la forêt au rythme des saisons.
Et pour lui, chaque saison était essentielle. Aussi, il fut profondément surpris lorsqu’il surprit une discussion agitée qui se déroulait au cœur de la forêt. Il s’allongea sur sol, derrière un buisson d’aubépine et tendit l’oreille. Il n’en revenait pas ! Trois saisons étaient en train de tenter de convaincre le Géniteur de leur accorder plus de temps. Chacune redoublait d’arguments pour lui faire admettre qu’elle était trop importante que pour s’étaler sur seulement trois mois. L’été ouvrit le bal et clama avec véhémence :
« Je suis indispensable à la forêt ! J’en suis l’essence même puisque je permets aux fruits de se développer ! Grâce à moi, la forêt peut s’étendre et se régénérer. De même, les animaux trouvent à manger facilement lorsque le soleil brille. Je suis trop importante pour me cantonner à trois mois ! Donne-moi un des mois de l’automne, dans l’intérêt de la forêt ! »
Le printemps surenchérit alors :
« Je suis le prince de la forêt ! C’est moi qui la relève après l’hiver ! Je fais grandir les feuilles et éclore les bourgeons. Je prépare le travail de l’été. Sans moi, oubliez la renaissance des arbres ! Je suis aussi celui qui donne aux animaux les cachettes et le temps pour se reproduire. Que feraient-ils sans moi ? Tout se travail est bien trop important pour être achever en trois mois ! Donne-moi un des mois de l’automne, dans l’intérêt de la forêt ! »
L’hiver conclut :
« Je suis le purificateur de la forêt ! Je la nettoie pour qu’elle puisse se reconstruire. Les feuilles et plantes qui ont fini leur tâche disparaissent grâce à moi ce qui permet au printemps de démarrer sur des bases solides ! Et puis, comme elle est belle notre forêt, couverte par une chape de neige déposée délicatement par mes soins ! Non vraiment, je dois coordonner la fin et le début de la forêt ! Cela ne peut se faire en trois mois ! Donne-moi un des mois de l’automne, dans l’intérêt de la forêt. »
Le Géniteur demanda alors : « Et l’automne, elle n’a rien à dire ? »
L’automne n’était bien sûr pas au courant de cette réunion et mon grand père le comprit aux sourires à peine masqués sur les visages des autres saisons. Aussi, il se releva et entra dans le débat.
« Je ne suis pas d’accord pour que l’automne disparaisse ! »
Tout le monde se tourna vers lui, les trois saisons, furibondes, s’indignèrent de la présence d’un homme au conseil de la forêt. Mais le Géniteur connaissait le travail de mon grand-père et lui accorda la parole, au grand dam des comploteuses.
« Eté, tu dis que tu portes les fruits aux arbres pour leur permettre de donner naissance à leurs enfants. Mais qui s’occupera de les faire tomber des branches où ils sont inutiles et les recouvrira en faisant choir les feuilles protectrices que tu auras laissées suspendues paresseusement aux arbres ? C’est l’automne ! »
« Printemps, si tu prépares la venue de l’été, tu sais combien ce travail est difficile ! A ton avis, qui prépare la venue de l’hiver sinon l’automne ? Qu’est-ce qui te permet de croire que son travail est plus simple que le tien ? »
« Hiver, tu dis que tu purifies la forêt mais qui fait roussir les feuilles, les décroche une par une, fait naître les champignons qui feront pourrir les déchets inutiles ? L’automne ! Lorsque tu arrives, le travail est si bien préparé que tu n’as plus qu’a te coucher sur la forêt et l’envelopper de neige ! Crois moi, personne ne te mâchera jamais mieux le travail ! »
Lorsque mon grand-père eut terminé, les trois saisons échangèrent des regards embarrassés. Le Géniteur sourit à mon grand père et inclina la tête. Ensuite, il prononça son verdict : les saisons garderaient le temps qui leur avait été imparti au départ.
C’est depuis ce jour là que, chaque année lorsqu’elle arrive, l’automne remercie mon grand- père. Comment ? C’est simple ! C’est chez lui que vous trouverez les meilleures châtaignes du monde !
27-10-06