Je suis phobique ; c’est un petit détail de la vie courante qui, bien négocié n’est pas si dramatique que ça !
Finalement, à bien y réfléchir, c’est surtout l’entourage que ça gène ...
Ils connaissaient pourtant mon aversion pour les grandes pentes, ma peur du vide, mon vertige inné ...
Ils savaient que je considérais les grands huit des fêtes foraines comme de redoutables ennemis ...
Les pistes de skis étaient pour moi de longs couloirs de la mort .
Ils m’avaient entendu crier, rugir même en imaginant la chute lors de nos balades dans les gorges provençales.
Ils avaient vu mes mains aggripées aux pierres des châteaux en ruine visités l’été .
Ils n’auraient pas du, non, ils n’auraient pas du me laisser emprunter la grande passerelle qui reliait le village de Chitaculi à celui de Calina .
Il n’auraient pas du me faire croire que de l’autre côté j’allais le trouver .
Ils n’auraient pas du me laisser entrevoir que je devais aller le protéger, le défendre, qu’il était en danger .
J’ai avancé, lentement, les mains posées sur les cordes, en regardant droit devant moi ; cette marche m’a paru interminable .
Tous les trois pas, j’avais envie de plonger dans ce tourbillon d’écume qui avait une couleur immaculée ; j’entendais le bouillonnement de l’eau folle qui m’appelait .
- Saute, saute ...
Et j’avançais, car l’espoir devenait enfin plus fort que la peur .
Cela ne m’était encore jamais arrivé un espoir si entier , si profond .
Cela ne m’était jamais arrivé de ressentir autre chose que de la peur dans un lieu inconnu .
Je lui en veux à ce curé de m’avoir menti croyant que ça allait résoudre ma phobie .
Je lui en veux de m’avoir laissé croire qu’il était de l’autre côté , mon bambin soit disant fugueur dans ce voyage organisé .
J’avais été prévenu de la disparition de mon fils alors que je faisais la vaisselle .
Je me souviens c’était les vacances d’été et la lumière était forte ; on avait croisé les volets de la cuisine ...
Le lendemain je prenais l’avion pour rejoindre la capitale bolivienne gavée de cachets pour que le vol soit possible .
Puis un long périple en camion suivit .
Et enfin, la passerelle ...
Arrivée au bout, je n’ai pas perçu les moqueries de leurs voix ; le bruit de l’eau était trop violent .
En me retournant, je l’ai aperçu, lui, mon fils ; il agitait ses bras de haut en bas le long de son corps et semblait trépigner de joie .
Je ne sais pas ce qui s’est passé dans ma tête tout à coup ..
Je ne me souviens plus de l’évanouissement .
J’ai eu l’impression de traverser la lumière, les souvenirs, la peine, et pourtant je suis encore en vie .
Ils ont réussi à chasser ma phobie et l’ont transfomré en mutisme .
Oui, je suis mutique ; c’est un petit détail de la vie courante , qui , bien négocié n’est pas si dramatique que ça !
Finalement, à bien y réfléchir, c’est surtout l’entourage que ça gène !