Dix heures. Sur la terrasse, le soleil s’enfle et se goberge . D’aise et de gratitude, je ferme les yeux. Le bonheur est dans l’instant merveilleux à qui veut bien le saisir. Mozart, par la fenêtre ouverte m’offre sa sérénade*.
Mais l’enchantement est précaire. Je reconnais la familière intruse dominicale : la machine à fraiser, variante moins usitée de la fringante mécanique à tondre le gazon, qui se met à pétarader dans le jardin voisin, produit avec le divin divertissement une cacophonie assourdissante, un vrai charivari. La machine a raison, Mozart fait du bruit et sèchement, je lui coupe les cordes. La musique du motoculteur, dans un crescendo ronflant et totalitaire envahit l’espace. Je me résigne à suivre ce mouvement interminable et « vivace ». Il a une forte connotation utilitaire et lucrative. Consommer avec ostentation, plus encore le dimanche est encore vertu citoyenne...Un élu du camp du progrès social l’a confessé sans détour.
L’avion de tourisme d’un contemporain plus fortuné, et loin des contingences terrestres, (un jour peut-être sera-t-il un objet de loisir de masse, quand nos privilégiés auront viabilisé la douce lune et violenté la lointaine Vénus) passe dans le ciel bleu et y laisse une traînée blanchâtre. Un nuage se peint sur mon visage. J’ai droit à un concert d’instruments à moteur à explosion et même les oiseaux d’habitude si bavards ont le bec cloué.
Sur le banc, tandis que le soleil hautain maintenant me brûle, j’accompagne les engins modernes avec des trémolos fébriles. Sans doute la quête et le goût du silence, ainsi que l’indolente et placide rêverie à suivre les yeux mi-clos le vol d’un papillon sont-ils de nos jours loisir suranné...
* du latin serenus : serein, calme
« La mode des sérénades est passée depuis longtemps, ou ne dure plus que parmi le peuple ; et c’est grand dommage : le silence de la nuit, qui bannit toute distraction, fait mieux valoir la musique et la rend plus délicieuse. »
ROUSSEAU, Dict. de musique, « sérénades »