C’était un entomologiste de renommée internationale qui avait parcouru tous les continents en tous sens à la découverte de nouvelles espèces d’insectes diptères.
Mais il manquait à sa collection une variété très rare de taon que personne n’avait jamais réussi à capturer et que certains disaient avoir vu voler et se poser sur les feuilles de baobab, à la tombée de la nuit lorsque les lions vont boire.
D’après quelques descriptions, il avait, paraît-il, des ailes plus grandes que celles de ses congénères ce qui permettait, par moments, à ce taon là, de se maintenir immobile en l’air durant quelques seconde en suspendant son vol. Probablement une légende ou, alors, dans la demi obscurité du soir, l’insecte avait sans doute été confondu avec un colibri.
D’autres qui prétendaient également l’avoir observée, soutenaient que la mouche en question se laissait, par beau temps, emporter par le vent. Autant que l’on puisse accorder un quelconque crédit à un tel scénario, notre entomologiste ne pouvait se satisfaire de telles affirmations sans avoir vérifié par lui même les mœurs de ce taon.
Après avoir passé plus de vingt ans sans en trouver un seul ni même en apercevoir, il en avait conclu que, soit cette variété très rare avait disparu, soit elle n’existait pas et n’était qu’imaginaire.
Il regrettait amèrement d’avoir perdu tant d’années à la recherche du taon introuvable alors qu’il aurait pu consacrer ce temps à mieux profiter de son existence.
Il s’en voulait beaucoup et se demandait quelle mouche l’avait piqué pour courir sans réfléchir vers ces pays lointains et sauvages sur la simple foi de rumeurs signalant ça et là la présence de l’insecte.
Il avait fini par se résigner en renonçant au taon insaisissable tout en continuant parfois d’en rêver.
Parvenu à l’automne de sa vie, il prit sa retraite et s’installa en Provence.
Mais sa passion était telle qu’il se mit à s’intéresser aux cigales pour les étudier de plus près. Au moins c’était là un dérivatif qui lui permettait de ne plus penser au taon de jadis afin d’oublier la déception de sa vie.
Il pensait alors au fameux vers de Corneille : « Le temps est un grand maître, il règle bien des choses ». Mais, le problème, se disait-il, c’est qu’il est un maître qui aspire la vie de ses élèves et les tue. Solution radicale pour régler « bien des choses ».
C’est alors qu’un jour, tandis qu’il pourchassait une cigale avec son filet à papillons, il ressentit une violente piqûre sur son avant-bras gauche. Il eut juste le temps de voir l’insecte qui l’avait piqué avant qu’il ne s’envole.
Il n’en crut pas ses yeux en oubliant complètement la brûlante douleur au bras.
C’était le fameux et rarissime taon avec des ailes plus grandes que celles de ses congénères.
Le temps de réaliser et l’insecte volant s’en allait, s’en allait, monsieur l’entomologiste.
« Las ! se dit-il, je vais le poursuivre »
Fort heureusement, son vol n’était pas très rapide et, tout en ne le perdant pas du regard, il se mit à le suivre en courant tout en brandissant haut son filet à papillons, arme suprême contre la fuite du taon.
Telle une supplique, il dit tout haut sans s’en rendre compte : « Ö taon suspends ton vol ! » Mais sur l’instant le diptère refusait d’obtempérer.
Compte tenu de son âge, sa course commençait à le fatiguer mais, tout à son affaire, il n’y prêtait guère attention. Il ne s’était pas non plus rendu compte que son avant-bras gauche avait doublé de volume.
« Il va bien finir par se poser, le bougre ! » dit-il en encore à haute voix.
Et, effectivement, l’insecte se posa sur une branche d’olivier à portée de filet.
Notre entomologiste, cramoisi, complètement essoufflé et en nage, s’approcha très précautionneusement de la grosse mouche sans cesser de la regarder.
Curieusement, il avait la sensation que le taon le fixait également de ses yeux à facettes irisés sous le soleil.
« Tu ne m’échapperas plus ! » pensa-t-il.
Parvenu juste sous la branche où le taon s’était arrêté, il ajusta son filet à bonne hauteur et le rapprocha très lentement vers ce trésor qu’il avait convoité durant toute son existence.
D’un geste très rapide il rabattit son filet et l’insecte fut capturé.
A cet instant, il ressentit une violente douleur dans la poitrine : la piqûre goulue avait fait son office. Il ignorait qu’il était allergique au taon et il s’écroula sans vie.
L’insecte en profita pour se dégager du filet et poursuivre sa route.
C’était le taon et non l’entomologiste qui avait pensé quelques instants auparavant, en le fixant de ses yeux à facettes :
« Tu ne m’échapperas plus ! »