Je crois que ma rentrée des classes la plus mémorable restera, à tout jamais, une magnifique journée de septembre où l’on apprit à notre grand dam que, si effectivement, être pendu par les pieds ça fait circuler le sang, il n’y a pas que ça pour donner un grand coup de fouet à nos paresseux globules rouges, et que le Concorde n’est pas toujours le seul à nous assombrir les tympans de vrombissements, même si les siens font quand même un peu moins mal que ceux dont je vais vous parler.
Je m’explique. A l’origine, c’était une rentrée des classes tout à fait normale ; mon frère, de deux ans mon cadet, s’était retiré dans sa classe avec une série d’autres bambins, tandis que du haut de mes 8 ans, je m’étais appliquée à suivre avec la plus grande attention ma maîtresse de l’époque, et à me recueillir dans l’église de sa connaissance, buvant chacune de ses paroles avec l’attention bien connue des gamins de cet âge. En gros, je ne pensais qu’à la récré. Bref.
Or ! Il s’avérait qu’à ma grande joie, les imprévus se déchaînèrent en ce premier jour de septembre. Une tête d’instituteur se pointa par l’entrebâillement de la porte de ma salle de cours, demandant que « Sophie et truc viennent ! » (je sais, le garçon qui est venu avec moi ne devait pas s’appeler truc, mais que voulez vous, il semble qu’il ne faut pas attendre une mémoire vieillissante pour faire preuve d’un début d’Alzheimer chronique. Arrêtez donc de m’interrompre tout le temps !)
Truc et moi n’avons jamais connu la guerre, bien entendu, mais il nous sembla débarquer sur le lieu d’un carnage en arrivant dans la classe de mon petit frère (et de la/du petit frère/soeur de Truc, évidemment). De tout coté, des gosses pleuraient toutes les larmes de leur corps, et des médecins affolés couraient d’un bout à l’autre de la pièce, s’efforçant à moitié de calmer les enfants, à moitié de rassurer des mères hystériques, à qui on aurait bien pu annoncer qu’un avion s’était crashé sur leur maison, je suis sûre qu’elles n’auraient pas pu crier plus fort.
C’est au milieu de ce bazar que je trouvais mon petit frère, qui avait l’air à peu près aussi réactif qu’un salsifi dans de la sauce coktail. Je me posais sur la chaise à côté de lui, avec l’espoir ténu de susciter une quelconque réaction ; devant son immobilité, je fus brièvement saisie d’une vision d’un petit frère de cristal, et retint ma respiration, de peur qu’il ne perde l’équilibre et se brise en mille morceaux sur le sol.
Après lui avoir proposé d’aller au toilettes, de boire, de manger, de faire pipi, de sortir la tête en bas faire la danse des canards, d’égorger son professeur, de faire du patin à glace, de dire quelque chose bordel (un vague relâchement de ma patience légendaire, vous m’en excuserez), d’arrêter de me regarder avec cet air de rutabaga trop cuit, de jouer à divers jeux, de manger du chocolat, je commençais tout doucement à être a court d’idées, et d’éprouver, il faut le dire, un certain état de malaise, à le voir hocher la tête machinalement à toutes mes propositions. (Oui, Adri, même à celle d’aller la tête en bas faire la danse des canards ! J’attend toujours, d’ailleurs ! )
Ma mère, rappelée en urgence de Bruxelles, vint alors me tirer de là, et ma rentrée reprit son cours normal, alors que je la laissais le soin de tirer mon frère de son état légumier.
Tout ça pour un cross dans les bois.
Vous saviez, vous, que les guêpes n’apprécient pas beaucoup le cross, surtout juste au dessus de leurs nids ?
Sale caractère, ces bestioles là.