Pfffff… Enfin ce n’est déjà plus qu’un mauvais souvenir. L’année nouvelle arrive, j’aurai je l’espère mille fois mieux à ronger que l’inepte tissu de ces journées perdues à courir les magasins, le cerveau tristement obnubilé par la perspective de manquer au devoir de convivialité festive.
Vous ne me croyez pas ? J’exagère ?
Tenez, j’en prends une au hasard, le 22 décembre. Je sais, c’est déjà beaucoup trop tard, mon ex me l’a répété 100 fois et mon ex, elle a toujours raison. Faut dire qu’elle, Noël, je crois bien qu’elle y pense toute l’année, dénicher le super cadeau pour Lucette à Palavas-les-Flots dans la cohue des estivants, c’est sa façon à elle de s’éclater. Mais je m’égare, enfin pas tant que ça, puisqu’elle est également invitée chez Lucette.
Lundi 22, donc, je profite de ma journée de congé et je file sur Rodez, c’est plus près que Montpellier, et je ne me sens pas la fibre assez courageuse pour aller jouer des coudes au Polygone ou place de la Comédie. D’accord j’aurais dû commencer plus tôt, je me répète, je choisis la solution paresseuse du tout sur place, l’hyper marché L’Univers me sourit, surtout que je le connais bien, ça ne devrait donc pas être trop difficile.
Sitôt franchie l’entrée, je tombe sur une ravissante hôtesse que mon égarement odysséen a manifestement ému.
Vous voulez déguster ?
Elle me tend une huître et moi qui n’en rate pas une, je m’apprête à lui faire une réponse bien grasse du genre « votre coquillage, ma petite, je le dégusterais volontiers » quand, bon sang, ça me revient d’un coup, qu’est-ce qu’elle m’a dit Lucette ? C’est toi qui t’occuperas des fruits de mer. Pour le coup, je souris jaune et la môme, elle prend mon trouble pour autre chose. J’ai la main qui tremble un peu quand je charge 2 bourriches dans le caddie sans même m’enquérir du prix. J’ai frôlé la cata, j’avais complètement oublié. Et quand je pose sur elle mes yeux, ce sont des yeux dans le vague, mais elle, elle doit prendre ça pour les vagues de Bouzigues, son pays, coincé entre la Méditerranée et l’étang de Thau. Elle me harponne d’un battement de cil infinitésimal, je m’accroche comme je peux, je cherche quelque ancrage solide :
Qu’est-ce que vous me suggérez comme vin pour accompagner les huîtres ?
Oh vous savez, moi, je n’y connais rien aux vins, ce n’est pas ma spécialité.
Ah oui, c’est quoi votre spécialité ?
Ça y est, mon trouble m’a passé, me revoilà parti à lui faire du gringue à la vendeuse, un pur automatisme. Mais ça a l’air de lui plaire, peut-être que simplement elle en profite pour se détendre.
Moi ? Cette fois, c’est elle qui rougit. Je ne peux pas raconter ça en public.
Elle dit ça en regardant ses chaussures, et en se retenant pour ne pas pouffer. Et c’est forcément le moment que choisit un gros lourdaud pour s’interposer et réclamer sa dégustation gratuite. Ma foi, c’est peut-être mieux ainsi, je m’éloigne tandis qu’un embryon de raideur se met à palpiter dans mon pantalon.
Je suis désormais à mille lieues des petits cadeaux pour les invités, faut que je me ressaisisse, que je me reconcentre. Il y aura qui, déjà ? Pendant que je reconstitue la liste des présents –j’espère que je n’oublie personne- je déambule, feuillette distraitement les best-sellers, examine les coffrets CD. L’intégrale de Caruso pour Georgette ? Le dernier Goncourt pour Paul, l’intello, est-ce qu’il ne l’aura pas déjà lu ?
Je tourne et je retourne, convaincu d’acheter les cadeaux les plus convenus qui soient, de ceux qui susciteront sans doute un commentaire courtois, mais sûrement pas un cri étouffé d’émotion. Et, inexorablement (c’est déjà la troisième fois) mes pas me ramènent vers le stand des huîtres de Bouzigues, c’est un signe. Je m’approche et je me jette à l’eau.
Mademoiselle, je suis invité à un réveillon, et je n’arrive pas à me résoudre à y aller seul. Voudriez-vous m’accompagner ?
J’aurais dû m’y attendre, je me suis jeté dans une eau saumâtre, celle du bassin ostréicole de Thau, c’est certain. Elle me considère d’un œil qui n’a rien perdu de son espièglerie, mais j’y décèle la certitude de ma défaite, d’ailleurs son regard me quitte et glisse quelque part là bas dans mon dos.
Dommage, vous arrivez un peu trop tard.
Est-ce vraiment nécessaire que je me retourne pour aller là où vont ses yeux ? Je me retourne donc pour découvrir la boutique juste en face, de l’autre côté de la galerie. Alpha Location, ça s’appelle, mais surtout, ce que je vois, c’est un beau brun, la trentaine bodybuildée, le regard d’un bleu…d’un bleu que je comprends que ma bouziguette s’y soit noyée dedans. Il est grand temps que je sorte un papier, un stylo, et que je récapitule.
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Tourné en bourriche
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le thème du mois : un réveillon de Noël