Cher Papabul,
Oui je partage avec toi cette impression d’être parfois larguée, perdue…
Je me suis longtemps cherchée entre ce que les autres attendaient de moi, la vie qui me contraignait dans ses obligations… sans me laisser la liberté de dire ou faire selon mes propres décisions. Il a fallu un soir que je me retrouve au pied du mur… presque au point final de ma vie pour penser mais pourquoi je n’ai pas eu mon mot à dire dans tout cela… J’avais le choix mais j’avais laissé les autres le faire à ma place.
Je suis remontée à la surface de moi, comme on remonte d’un plongeon trop profond… quand le temps se suspend, suffisamment, pour te faire prendre conscience de l’essence même de la vie. Cet air que tu respires, machinalement, je n’avais pas la conscience que c’était si vital. Je suis remontée vers la surface et quand je suis sortie c’était ma renaissance. Plus jamais je ne laisserai quelqu’un me dicter quoi que ce soit, on peut cependant me donner son avis je reste ouverte à toutes suggestions, mais aujourd’hui je prends mes décisions, simplement parce que c’est ma vie et que désormais je la vis pour moi.
Nous devrions toujours garder ce regard d’enfant que nous avions sur le monde… ne pas grandir pour garder en nous certains sentiments et émotions authentiques. Ecouter son cœur c’est si facile… pourquoi alors peu d’entre nous en sommes encore capables. Je me refuse à devenir eux. Je suis moi… et cela plus personne ne le changera. Je suis dans ma bulle douceur me diras-tu ? Oui !! Car c’est chez moi… Mais à la différence d’autrefois c’est que personne ne percera ma bulle, intemporelle elle flotte et me protège. Et je n’y fais entrer que ceux qui sont chers à mon cœur.
Un grand homme de ma vie est mort une belle nuit d’août… et je n’étais pas prête. Mais ce n’est pas que l’enfant qui souffrait, c’était moi dans mon entier, moi dans tout ce qu’il avait créé. Pourtant j’étais en paix avec lui, nous avions profité de chaque seconde ensemble pour se dire et se prouver tout l’amour qui vivait en nous, l’un pour l’autre. J’ai erré longtemps à la recherche d’un signe de lui. Mais dès que je fermais mes yeux, je voyais son regard dans cet instant, où il a franchi seul cette dernière frontière qui, à tout jamais, devait nous séparer. Bien sûr moi aussi j’ai reproduit ce que mon père voulait que je sois… Je me suis mise à peindre en exutoire à ma douleur… Je peignais avec sa palette, sur des toiles vierges qu’il avait lui-même sélectionnées, je me suis perdue en lui, parce que je n’acceptais pas que le héros de mon enfance, cet homme si beau, si grand, si fort soit parti avec ce regard d’immense solitude, malgré tout l’amour que je lui offrais dans cet instant là.
Et puis, un jour mes tableaux ont enfin parlé de moi, mais j’avais fait un long chemin douloureux. J’avais été moi aussi à la frontière de ce seuil, où de l’autre côté, je suis sûre il m’attendait. La maladie qui me rongeait comble du comble m’empêchait de respirer…
Malgré l’immense solitude (affective puisque j’étais dans cette période là en plein divorce) où je me trouvais au moment de cette maladie… à aucun moment je ne me suis autorisée à affoler mes enfants. Peut être parce que je reste persuadée que dans ce moment là égoïstement je n’aurais pas supporté la souffrance que je leur infligeais pour le restant de leur vie, marquant ainsi d’une croix cet avant et cet après. Et j’ai compris ce jour là que c’est de cela que mon père souffrit le plus dans ce regard qu’il m’adressa cette nuit là. La souffrance qu’il me laissait à moi son enfant qu’il avait toute sa vie protégée.
Peut être que certains mots écrits n’expliqueront jamais qui nous sommes vraiment parce que simplement personne n’est à notre place pour sentir et éprouver ce que ce mot représente pour nous…
Je suis ce que je suis parce que ceux qui m’ont précédé ont marqué à tout jamais mon âme de leur empreinte. Mon père m’a laissé le plus fabuleux des héritages, il m’a laissé l’amour….
Et jusqu’au bout de ma vie je me battrai pour faire perdurer ce qu’il m’a si généreusement offert.
Merci à toi d’avoir par un texte libéré ces mots que j’ai retenus tant d’années dans mon cœur. Merci Papabul d’avoir traversé ma bulle et libérer les mots qui parlaient de mon papa…