Je suppose que tu partages avec moi cette même impression, celle qu’on a parfois, d’être largué, perdu. On se cherche sans se trouver et on se retrouve sur une voie parallèle à s’observer vivre ou surnager, a penser que la vie nous joue de drôles de tour, qu’on ne contrôle plus rien, qu’on n’est pas maître du jeu, de soi. Que d’autres, ou qu’un autre, tire les ficelles et qu’on n’est plus qu’une marionnette dans un jeu de dupe...
Je suis à la recherche d’un sentiment que j’ai perdu et qui remonte à mon enfance, une croyance forte dans la vie, la certitude que tout doit toujours se terminer bien, que les méchants sont punis, qu’une mauvaise action revient comme un boomerang labourer la gueule du salaud...
Je sais, c’est enfantin, quand je te disais être un peu perdu...
La vie n’est pas comme ça, elle est injuste et au fond, j’en sais rien, ch’suis plus sur de rien.
Des idées qui se bousculent et qui sont ma vie. Des idées revenues à l’état sauvage, indomptables, qui surgissent de nulle part et qui ne mènent à rien.
Tiens, celle-ci : faut pas croire que les enfants se demandent d’où viennent les bébés, ils le savent très bien, ce qu’ils ne savent pas c’est d’où viennent les adultes... Ils ne comprennent pas que les enfants peuvent devenir lâches ou cruels... Alors ils ont peur de grandir...
C’est peut-être de là que me vient l’insolence que je mets parfois dans mes relations aux autres, mon refus de l’autorité aveugle, mon dégout-mépris profond de l’orgueil et de la vanité...
C’est sans doute cette peur de devenir "eux" qui me guide encore dans ma manière de ne pas me prendre au sérieux... Mon nez rouge, ma naïveté les rassure et me protège de leurs ambitions, de leur convoitise...
On ne prend pas un enfant au sérieux...
On a tort,
On devrait...
Ou bien est-ce le modèle de mon père que je reproduis ? Sans doute un peu aussi.
Mon père était un homme respecté par ses pairs, ses patrons et ses collaborateurs. Un homme sérieux qui avait un sens inouï de l’humour, de la dérision, ce qui lui permettait de se sortir des coups les plus foireux et de résister dans la vie. Un homme écouté et pris au sérieux alors qu’il avait lui bien du mal à prendre les choses aux sérieux, à commencer par lui.
Pourquoi je pense à lui, moi ? C’est même pas la date anniversaire de sa mort...
Ca l’est tous les jours...
A ça aussi on n’est pas préparé, à la mort...
Tout petit, lorsque l’on croise pour la première fois la mort, y a toujours un con pour te dire "c’est la vie, personne n’y coupe", il croit te rassurer alors qu’il te fout la trouille de ta vie, pour la vie...
Alors, une fois de plus, ben tu refuses de grandir et tu développes une angoisse insidieuse qui reste cachée et qui surgit quand tu t’y attends pas, au pire moment (de préférence), dans les endroits les plus biscornus : quand tu passes un examen, sous les jupes de la première copine, face au sourire tendre et triste de ma mère quand elle regarde cette photo noir & blanc où ils posent ensemble à Bujumbura...
A la vie à la mort... Pas eux, non, pas les parents, ils sont solides, immortels et magiques... Et puis la maladie frappe et l’arbre se retrouve à terre, et puis tu dois accepter que ton héros est mortel et que, devenu père, tu l’es aussi et qu’il est peut-être temps de préparer tes enfants (avec prudence) à la plus grande désillusion qu’ils connaîtront...
La déroute c’est peut-être un peu ça aussi...
J’arrive à un moment où je n’ai plus le temps d’hésiter, je dois prendre des mesures et des décisions ne sachant pas si j’en serai encore capable demain..
Quand mon père est mort, je n’ai pas imaginé les conséquences que cet ‘incident-dans l’ordre-des-choses’ aurait. ( j’imagine que je vivrais bien pire s’il s’était agit de ma femme ou d’un de mes enfants... ça, je ne le supporterais pas).
Bien sûr j’ai connu d’autres morts avant cela.. mais son père, avoues... ça fout un coup à l’enfant qu’on reste...
Et quoi qu’on fasse, le vide subsiste, indéfiniment, qu’on le veuille ou non, et tout le reste n’est que littérature, ou maquillage...
Jusqu’à lui, je ne me sentais pas réellement concerné, et puis l’évidence s’impose, un jour ce sera mon tour, c’est dans l’ordre des choses..
Faut que j’aille parler à mes enfants, les rassurer, les préparer, je suis mortel bordel !
J’en veux un peu à mon père, il n’a jamais parlé de son enfance, ne m’a jamais réellement montré qui il était encore au fond de lui... Et ça c’est terrible dans la mesure où j’ai l’impression qu’il me manque des clés pour le comprendre et sans doute me comprendre par la même occasion.
J’ai déconné, je l’avoue, je déconne encore, à jouer au trompe la mort, j’essaie de mordre dans ce que la vie offre de plus juteux, parce qu’il faut essayer de profiter un peu de l’existence qu’on nous prête, faire avec ce qu’on a, ses capacités, ses possibilités, ses moyens, essayer de rendre ses proches heureux et forts pour affronter à leur tour ce drôle de jeu.. Etre là pour eux, à la vie à la mort !
De bien drôles d’idées, quand je te le disais. Tiens, cette autre : J’ai l’impression parfois en lisant des textes qu’on peut découvrir l’autre dans ses écrits, mais c’est un leurre. Par définition on met ce qu’on veut dans ses textes, faut pas confondre la plume et la main. La main peut foutre une gifle à un enfant et écrire immédiatement après le plus beau poème d’amour...
Ce n’est pas aussi banal qu’il n’y paraît, en tout cas pour moi, et je ne comprends toujours pas pourquoi certain textes que j’apprécie et qui peuvent m’amener à réfléchir, ne rendent pas leur auteur meilleur..?
Ne voyez pas dans ces lignes tristesse ou déprime... Je suis soudainement devenu réaliste et clairvoyant. Et si j’en perds un peu mon sourire, je suis en définitive assez heureux, je n’aurai pas de regrets à l’heure de l’addition finale.
Mais comme de toute évidence je n’appartiens pas à la race solide de nos mémés, la solution sera peut-être de devenir ivrogne en même temps que je deviendrai vieux..?