Comment commence t on ce genre de lettre ? C’est une lettre qui ne s’adresse pas à vous, qui la lirez, et celui à qui elle s’adresse ne la lira pas. Comment commence t on une lettre pareille ? Mon cher ceci, ma chère cela ?
J’en perds le fil de ma pensée. Fil ? Encore faudrait il qu’un fil ait existé dans ce ramassis de pensées et de sentiments qui s’égarent sous mes doigts. Mais j’en étais à ma lettre.
Il neigeait ce matin, tu as dû le voir de ta fenêtre, en te dirigeant vers ce bureau qui t’appelle. Tu t’es levé, et tu as mangé, parce que je sais que tu aimes manger le matin ; des tartines avec du chocolat. Et une tasse de café. Peut être que tu as fumé, aussi, de ces cigarettes que j’ai vu un jour dans la poche avant de ton sac à dos, un jour que tu ne faisais pas attention. Peut être que tu as capté mon regard ? Je ne sais pas.
Moi j’ai avalé mon bol de céréales et j’ai mis sur mon dos cette veste que tu n’as pas encore vue et que tu verras bientôt. Tu ne me diras pas si elle me va bien, parce que tu ne dis pas tout ce que tu penses. Ça te va bien, d’être pensif comme ça. Je ne te l’ai jamais dit parce que tu m’intimides, avec tes yeux bruns immenses, couleur noisette et caramel doré au soleil. Tu es serein, doux comme un rayon de lune et perdu dans tes pensées, cheveux en bataille comme un gamin à la mine froissée.
J’aime t’imaginer assis à ton bureau, abandonnant un instant ces notions barbares et compliquées qu’on vont nous faire apprendre, et lever le regard vers les paysages brouillés par la pluie de l’hiver. Tu aurais ton visage dans ta main, et ce petit éclat que je connais si bien, qui me donne envie de te prendre dans mes bras et de te serrer très fort. Le noisette de tes yeux mouchetés de chocolat noir, comme les gouttes sur les toits de tuiles brunes. Mille reflets de pluie dans les yeux du rêveur.
Je ne t’ai jamais dit que j’aimais tes yeux. Tu ne m’as jamais dit que tu aimais les miens. Je sais pourtant que c’est le cas, mais tu ne dis pas les choses, c’est ce qui fait que c’est si difficile d’être loin de toi, parce que je ne suis jamais sûre que je n’ai pas rêvé la chaleur de ton regard quand c’est sur moi qu’il se pose, que je n’ai pas imaginé tes sourires et ta main qui s’attarde un tout petit peu plus longtemps que nécessaire sur mon bras quand tu me dis bonjour. Tu ne dis pas les choses. Tu as peur de décider, alors tu ne décide pas. Cette indécision m’agace et m’attendrit.
Ça y est, il est l’heure, tu te glisse dans ton lit, habillé d’un t shirt et d’un caleçon, ça, je le sais, tu me l’as dit, je ne sais même plus pourquoi on parlait de ça. On s’était probablement laissé emporter dans ces discussions qui ne servent qu’à nous donner un prétexte pour regarder l’autre dans les yeux et nous nourrir un peu plus de son sourire et de chacune de ses expressions, pour ne pas les oublier et se les rappeler le temps que durera l’absence.
Tu éteins la lumière et tu glisse lentement sur le chemin des rêves. Et dans les miens, j’espère juste une chose, que j’aie une toute, toute petite place dans ton cœur...