La jeune fille laisse son regard errer à l’intérieur de la voiture. Il balaye, un à un, ses sept camarades, ainsi que le dos du siège du conducteur. Elle ne sait pas voir son visage, mais elle y devine une concentration extrême. Elle voit presque ses yeux fixés sur la route, ses mains crispées sur le volant.
Elle reporte son regard sur l’extérieur, admirant les tourbillons de neige, les files de voitures autour d’elle, roulant presque au pas.
Soudain, une accélération. Le conducteur embraye, la voiture se lance en avant, comme tirée par une main invisible, et entame le dépassement du camion citerne devant eux. La jeune fille se plonge dans l’admiration du logo Shell aux contours assourdis par la fine poudreuse.
Les roues patinent sur le mélange de neige et de pluie, si glissant. Le conducteur accélère encore un peu, jurant de temps à autre contre le temps et le moteur poussif de la voiture. Lassée par le logo, la jeune fille se renfonce dans son fauteuil, ramène, d’un geste machinal, une mèche de cheveux auburn derrière son oreille droite.
Soudain, les roues rencontrent une plaque de glace. Elles patinent un peu plus, glissent, gémissent, ne trouvant pas la rugosité attendue de la surface. Le conducteur veut ralentir, freine brusquement, les pneus dérapent, le camion klaxonne comme une locomotive folle. La jeune fille jette un regard à l’extérieur, ne voit que des voitures, partout. Il y a un choc, juste derrière elle, un bruit de tôle froissée et elle sent un courant d’air glacé lui lécher le cou, comme une sinistre promesse. La voiture dont les pneus ne peuvent plus accrocher le bitume part en tête à queue, parcourant les trois bandes de l’autoroute au milieu d’un concert de klaxons, dans un sens pour le moins... inhabituel. Au milieu des gémissements, des cris, des couinements des voitures et des grincements de la tôle malmenée, la jeune fille se sent étrangement calme, ferme les yeux, se renfonce dans son siège. Pendant ce qui lui semble être toute une vie, elle se prépare au choc avec la barrière de sécurité de l’autoroute.
Le choc ne vint jamais. La voiture dérapa dans le fossé, quittant l’autoroute, partit en tonneau, percuta un arbre au fond du remblai. L’essence du réservoir prend feu instantanément.
Le lendemain, on titrait, rubrique fait divers, la morts de huit adolescents et d’un adulte sur l’autoroute Wavre- Namur, à hauteur de Jodoigne, deux jours avant Noël.
***
Claquement de doigts.
Hé ho, tu rêves ?
La jeune fille cligna des yeux, émergeant doucement de ses pensées. Le vent glacial qui balayait l’autoroute la fit frissonner. Elle sourit à son amie, secouant la tête comme pour la rassurer, puis parcourut brièvement des yeux ses sept camarades.
Elle fit quelques pas, dans la neige, tentant de séparer le crissement sous ses pieds du mugissement des voitures et du bruit du conducteur qui tentait de faire redémarrer leur voiture. Elle s’assit sur la bosse qui déformait la barrière de sécurité, à l’endroit où ils l’avaient percutée. Laissant son regard glisser sur la surface blanche de la bande d’arrêt, elle observa une fois encore l’arrêt de la barrière, cent mètres plus loin.