Aujourd’hui le petit chat est mort. Enfin !
Libéré de lui, je crois renaître – disons, j’espère pouvoir renaître.
Il était si pesant – étouffant – comme tous les mauvais chats. Si on les laisse vivre, ils arrivent à attraper la gorge et on peut en mourir.
C’est drôle comme ils grossissent vite, nourris du noir à l’âme, du doute, du désespoir, abreuvés de houblon ou de kir mauvais-blanc. Ces chats là, tapis dans un recoin de conscience, ronronnent d’aise lorsque d’aventure – et c’est souvent le cas – la tête embrumée de vapeurs, polluée d’images-souvenirs, pique du nez vers l’inconscient. A ce moment là, ces chats surgissent du tréfonds du soi pour bondir toujours au même endroit : la poitrine, la gorge, zones vitales, pour être sûrs de terrasser leur proie, choisie pour sa faiblesse, certainement pour sa bonté d’âme et sa sensibilité – sensiblerie – c’est très bien aussi. Ils s’en régalent.
Mais ces chats osent bien moins l’affrontement avec les autres chats – de gouttière cette fois – machos empreints de certitudes et sachant manier la taloche avec les dames dont seule la chatte intéresse. C’est vrai qu’ils ont du mal à leur sauter au cou à ces hommes qui se disent en être et qui considèrent l’autre sensible comme de la donzelle méprisable.
Alors j’essayais bien, moi aussi, de devenir cet être fort, au cœur dur pour abandonner mon chat à d’autres âmes périssables. Station du beau fixe ! Tout le monde descend ! Le chat change de locataire pour rejoindre une poitrine juvénile où l’amour platonique et ravageur va le nourrir du lait jouvenceau ; ou bien une gorge au veuvage forcé, au divorce subit, à la séparation regrettée, au remord consumant ou bien mille autres âmes en peine. Car le chat n’est pas seul. Le chat prolifère en proportion des progrès de la société et de toutes les solitudes qu’elle engendre. Paradoxe de ce chat là – rien n’à voir avec celui de Schrödinger – qui pullule et bondit de gorge en gorge bien plus dans les grandes villes que dans les campagnes, bien qu’en vérité, personne, d’où qu’il soit et quoiqu’il en pense n’est à l’abri de ses terribles griffes. Le plus paradoxal donc, c’est que quiconque a adopté un jour, une nuit, une minute folle prise dans la tourmente du regret, quiconque a adopté le chat ne peut se résoudre à si facilement l’abandonner – à fortiori – à le tuer.
Car en fait, pour tuer son chat, il faut qu’il soit devenu à ce point dangereux pour la santé qu’il est bien plus qu’une menace qui noue la gorge et entrave la déglutition. Car de la gorge aux larmes, il n’y a qu’un brin de visage, le tien, qui s’imprime partout où le regard se pose. Pire, il est une impression neuronale qui n’a plus besoin de l’œil, inutile organe, puisque ton visage est devenu chimie de la pensée. Celui-ci se nourrit du souvenir qui jaillit autour de ton sourire et le fait vivre – vibrer – rire – parler – chanter – embrasser – aimer. Et tout celà concourt à alimenter le petit chat et à empoisonner l’être qui lui a naïvement ouvert son cœur et offert sa gorge.
Voilà pourquoi il faut tuer son chat.
Voilà pourquoi il a fallu que je tue le mien.
Noël F.
26 avril 2005
Copyright