Il est là ! Venu de nulle part, à dix mètres à peine de moi. Enfin c’est ce qu’il me semble mais dans le même temps je ne vois rien autour de lui, ni arbre, ni maison.
C’est Tanga ! Il est là et me regarde ! Impossible de distinguer les traits de son visage mais, j’en suis certaine, c’est bien lui. Debout, très droit, vêtu de blanc si éclatant et lumineux qu’il semble irréel. J’esquisse un pas vers lui, le bras tendu, le cœur gonflé d’espoir et là, l’image se dissout en une infinité de grains lumineux envahissant l’espace.
J’ouvre les yeux, tout est calme et sombre. Il fait nuit et je suis couchée. Un coup d’œil au réveil, quatre heures passées. Ici, dans ce pays, les rêves qui surviennent à ce moment de la nuit sont appelés visions. C’est l’espace de temps réservé à ceux qui sont partis pour communiquer avec ceux qui sont restés ici-bas et j’ai très envie d’y croire. Un sentiment de paix et de sérénité m’envahit. Tanga est venu me faire savoir que tout est en ordre pour lui, qu’il a trouvé son chemin et que je peux continuer le mien. Mon cœur sourit dans l’obscurité, je ferme les yeux et me rendors.
Poussières de lumière ! C’était vraiment cela.
Et cette lumière, du moins celle que nous sommes capables de voir naturellement, est composée d’une multitude de nuances de couleurs. Nos scientifiques ont découvert et dénombré depuis belle lurette ces vibrations colorées, rouge, jaune, vert, bleu, indigo. Même celles que notre œil n’est pas en mesure de percevoir, comme les infrarouges et les ultraviolets, semblent avoir délivré leurs secrets avec les nouvelles technologies. Cet éventail lumineux nous fait parfois l’honneur d’une visite et se déploie dans le ciel des fins d’orage d’été. J’aime à penser que notre vie est, comme cette magie de la nature, composée d’éclats de multiples couleurs qui, tous, participent à sa réalisation.
Certains de ces éclats, se situant dans la zone la plus sombre du spectre solaire, bleu foncé ou indigo, sont si sombres et douloureux qu’ils nous laissent épuisés, au bord de l’abîme. A nous de les déposer avec précaution dans un coin de notre cœur et de notre mémoire. Ils sont lourds et fragiles à la fois , la moindre secousse peut les briser et nous anéantir. Viendra le temps où nous pourrons aller les rechercher car ils trouveront leur place dans le tableau de notre vie.
D’autres sont si lumineux et scintillants qu’ils nous traversent et nous enveloppent d’une énergie inépuisable. Eux aussi doivent être entreposés précieusement car c’est en eux que nous trouverons la force de traverser les étapes les plus difficiles de notre voyage.
Et enfin, il y a ceux qui sont si légers, transparents même, que souvent par négligence, nous les laissons s’envoler dans les méandres et les souffles désordonnés qui nous entourent. Pourtant ils sont indispensables car ils serviront, soit à alléger les parties qui avec le recul du temps nous paraîtront trop pesantes, soit à nuancer l’excès de brillance qui déséquilibrerait l’ensemble.
Chacun de nous est responsable de la réalisation de la mosaïque de sa vie. Comme l’artiste devant son œuvre inachevée, le découragement peut nous envahir. Certains jours, aucune inspiration ou envie de vivre ne nous habite. Il faut pourtant rester aux aguets car une étincelle peut surgir à tout moment.
Les éclats de soleil sont nombreux : amour, amitié, tendresse, fierté, merveilles que la nature nous offre chaque jour …etc.
Les éclats d’orage hélas ne manquent pas : douleur, maladie, rivalité, haine, jalousie, catastrophes et luttes qui déchirent notre planète …etc.
Et enfin ceux qui nous frôlent au quotidien : sourire d’un inconnu dans la rue, trilles d’un oiseau saluant notre passage sous l’arbre où il est perché, odeurs de pain chaud et de croissants s’échappant de la boulangerie au petit matin …etc.
Le ciment qui doit maintenir tout cela en équilibre c’est tout simplement l’instinct de vie et de survie qu’il ne faut en aucun cas étouffer et annihiler par des slogans ou règles qui en fait sont souvent édictés par ceux dont ils servent les intérêts.
Au terme du voyage, nous n’aurons sans doute pas eu le temps de terminer notre mosaïque mais, nous aurons peut-être réussi à composer une fresque suffisamment variée, avec toutes les teintes du spectre solaire. Et alors, quand le moment viendra, nous pouvons espérer que toutes ces vibrations se transformeront en une seule, si intense qu’elle se dissoudra, en poussières de lumière.
C’était l’une de mes divagations… je ne sais pas ce que vous en penserez. Mais le rêve du début est une réalité vécue il y a environ cinq ans. Tanga, mon compagnon pendant vingt-quatre ans, m’a été enlevé en un éclair il y a une dizaine d’années. C’est lui qui m’a appris à ne pas avoir peur de mes idées, même des plus extravagantes. C’est pourquoi je suis convaincue que, cette nuit-là, il est venu me faire savoir que je ne devais plus m’inquiéter pour lui.
Et tout est bien ainsi.