Je t’ai écrit tant de lettres inachevées, que, ce soir, je ne sais si je t’écris vraiment. Tout semble être en pointillé. Nos dialogues, nos sourires, nos silences. Tout semble éclaté. Nos passions, nos attentes, nos pensées. J’ai même imaginé que j’ai tout inventé, comme une histoire mille fois racontée. Se peut-il que de la poésie naisse de mots usés ? Ce serait le comble de tant d’efforts insensés.
J’avais écrit ceci, quand je perçus toute la confusion de mon esprit resté muet, face à l’évidence d’une simplicité : peut-être, oui, peut-être que tout a été dit.
Ainsi, une phrase simple pourrait servir de résumé.
Mais cette phrase, je ne pourrais l’écrire ; j’ai besoin de broder, de chercher, d’entamer sans cesse comme par nécessité, car je crois, quelque part, que pour survivre, nous devons constamment l’inventer.
Sommes-nous fous ? Peut-être.
C’est ainsi que tu me parlais.
Nos mots n’étaient que des points de suspension que l’on avait l’audace de souligner. C’est qu’ils devaient nous marquer. Ils avaient le pouvoir de nous faire avancer. Nous étions trois points dispersés qu’il fallait rassembler. Sans tricher.
Notre dernier instant de silence... Te souviens-tu ? Les mots avaient gagné à se perpétuer dans l’attention d’être soi. Simplement.
Depuis, je t’ai un peu oublié, mais tu réapparais dans le regard d’un autre. C’est l’ironie du sort des trois points de suspension, la suite à écrire au rythme d’un présent décalé, la réalité tangible de nos échanges fondés sur tant d’illusions.
Mais peut-être que je me trompe.
Sommes-nous fous ? Peut-être pas tant que cela. Nous vivons avec ce que nous sommes. Comment faire autrement ? Cela n’aurait aucun sens de vouloir tout recommencer à zero. Ce serait se réconcilier avec une part de sa propre naïveté, mais peut-être que, dans une certaine mesure, c’est possible. C’est parfois le sentiment que j’ai. Cette innocence, irréductible à soi, serait préservée. Nous serions ailleurs, mais toujours là, à murir enfin, sans avoir peur, sans se poser de questions, sans chercher à savoir si nous sommes entendus, parce que ce serait alors évident.
Cette soif d’être entendus, reconnus, aimés... Pour nous, il aurait fallu l’étancher dans la simplicité de nos points de suspension, sans chercher à bien faire, sans être avides d’une poésie qui se voulait, malgré elle, dramatique, sans se mentir quand il s’agissait de fuir. Mais c’est facile de porter un regard sur le passé quand on a pris du recul.
Nous étions appelés à écrire la suite dans un ailleurs où nous devions être séparés. Je dis cela sans fatalité. Nous avons fait comme nous avons su être.