Je tente donc de répondre à mes interrogations : peut-on se former au bonheur, s’autoformer à lui ?
Lorsque je définis plus haut le bonheur comme « une parfaite plénitude intérieure », le qualificatif « parfait » laisse supposer qu’il pourrait donc exister une plénitude intérieure « imparfaite » ; quant à la plénitude, elle peut évoquer l’absence de manque donc l’absence d’espace possible pour l’autre, pour un tiers car la plénitude serait complétude ; là le bonheur n’aurait plus de raison d’être, car il n’aurait plus de place pour exister. Il semble bien que le bonheur n’existe donc que dans son rapport d’incomplétude au monde. Le bonheur serait peut-être une invention de l’Homme : celle de sa relation au monde.
Cette relation au monde impliquerait de nous résoudre à nous former, à nous auto-former à tout, après que nous aurons accepté l’idée de notre solitude. Je fais ici une différence essentielle entre « solitude » et « isolement ». L’une étant source de mouvement, l’autre d’enfermement. Lorsque je parle de « …relation sociale à l’autre […] subie », ne devrais-je pas employer le terme « consentie » ? Etre seul « avec » les autres est une position de conscientisation du travail constant qui doit être fait pour « grandir » en soi, à côté des autres et dans le monde. Je ne convoque pas, dans mes propos, une solitude qui serait triste, tragique, désespérante ; je parle d’une solitude qui nous fait mieux nous respecter les uns les autres, qui nous permet de mieux comprendre que la conscience que nous avons de « l’autre » ne nous donne pas accès à son univers, qu’il faut marcher pour s’en approcher, sourire et espérer son invitation pour partager quelques motifs des toiles intérieures qui nous tissent.
Ainsi, ne sommes nous pas tenus debout par ce paradoxe d’être un et plusieurs ? Acteurs, actrices, mais traversés, articulés, désarticulés à chaque seconde par la mobilité du tout qui, sans cesse, nous bouleverse voire nous émeut ? La vie ne se dépasse-t-elle pas en apprenant à percevoir l’infiniment fragile qui crée l’émotion ? Rencontre fugace entre les corps et les cœurs et qui perçoit la vibration, l’instant clé qui, pour l’à peine perceptible, donne le goût de vivre pour le revivre encore. Nous ne sommes rien si nous nous ego centrons ; nous ne sommes rien si nous nous atomisons ; ne passons donc pas notre vie à chercher la juste distance entre soi et soi, soi et les autres, soi et les choses, soi et le monde ! Que de monde, que de mondes qui tourne et tournent sans jamais revenir au même endroit !
La plénitude intérieure qualifiée de bonheur serait donc paradoxalement le seul état qui laisse assez d’espace pour aller vers l’autre et laisser l’autre venir à soi. Se tenir debout « par » l’autre, c’est le diminuer en le contraignant à être en fonction de notre ego (voyez les personnes jalouses qui pourrissent la vie de celle ou de celui qui supporte leur défaut) ; se tenir debout « à côté » de l’autre, c’est lui laisser la force et la volonté de parvenir lui aussi à la plénitude.
Se former au bonheur, s’autoformer à lui, c’est peut-être possible…
C’est peut-être ça : apprendre à modeler son chemin intérieur avec assez de soin, de générosité et d’humilité pour que la vie consente à iriser l’onde qui tout à coup nous rencontre, nous transforme, nous donne « l’autre » à voir et à accepter dans toute son incomplétude…
Et comme tout Art, l’écriture participe magistralement de la découverte de l’autre.
Il suffit, pour m’en convaincre, de parcourir les textes, tout genres confondus, que m’offre à découvrir la Plume pour agrémenter encore mon bonheur qui tend vers l’état de plénitude intérieure !
Noël F.