Tu es assise sur ce banc. Tu te souviens de tout. Des ours, de l’eau marron, des enfants bruyants, des insectes, des odeurs, de sa peau, de ses yeux...
Pendant un instant ce banc t’a enveloppée, t’a enfouie sous la terre. Tu as porté ce banc de toutes tes forces mais la terre est entrée dans ta bouche, tes poumons. La terre est devenue trop lourde. Elle t’a ensevelie. Terre tombrau.
Tu es assise sur ce banc où tu es morte il y a 32 ans. Banc d’essai avorté, banc porteur de douleurs, banc pêcheur...Ton banc.
Tu le regardes quand même ton banc. Tu l’aimes quand même. A t’asseoir sur ton banc cinq minutes, les souvenirs reviennent, ton amour aussi.
Il doit avoir avoir 58 ans maintenant. La poussière d’étoiles a disparu et avec elle, les étoiles et tes ailes de papillon dont tu ne gardes que des cicatrices. Restent ses yeux. Ah ses yeux ! Mais aujourd’hui tu n’as personne à tes côtés, ton seigneur s’en est allé.
Aujourd’hui tu ne te brûles plus. Tu ne bois plus cet alcool brûlant comme ta vie. Ta vie que tu ne bois plus comme une eau de vie. Les corps ne sont plus impatients depuis longtemps. Ton beau tzigane s’est arrêté sur ce banc cinq minutes, juste le temps de t’y abandonner.
Tu y reviens encore sur ce banc comme on vient se recueillir sur une tombe, ta tombe. Ton banc, ta terre. Ta terre désertée aujourd’hui, hier inondée, dévastée, sinistrée, engloutie, oubliée. Mais comment oublier ?
Lui naviguait seul. Toi, tu avais déjà un bateau et un matelot. Un banc vous a réuni. Tu t’es jetée à l’eau et tu as essayé de rejoindre son embarcation. Son navire avait le vent en poupes. Il ne s’est pas arrêté. Mais dans ce fleuce des amours perdues, tu as décidé de le ratraper à la nage. Il a du s’arrêter, rempli qu’il était de loups solitaires, de filles amassées de port en port, de mauvaises habitudes et de certitudes tenaces. Le capitaine t’a autorisée à monter à bord comme passager clandestin. Il t’a débarquée au port le plus proche. Tu l’as attendu au prochain.
Tu as 60 ans. Tu erres de port en port.