Le dix août deux mille cinq, il fait une chaleur infernale au manoir. Le seul endroit où il reste encore un peu de fraîcheur, est la salle aux marbres. Je vais y prendre repos. Allongée à même le sol immaculé de blanc, je regarde les fresques du plafond. Les chérubins s’étalent avec grâce, dans leur paradis d’huiles et de peintures. Mon petit corps de femme bouge au rythme de ma respiration. Mes bruns cheveux moites et salés reposent sur le sol, autour de ma pâle figure. Il n’y a pas un souffle d’air, pas un bruit, dans la grande maison. Le silence possède l’espace.
Il s’approche, la langue pendante et le poil humide de transpiration. Le chien jaune s’arrête. Il est tout près de moi et me regarde. Ses grands yeux caramel me questionnent. « Viens lui dis-je ! Je suis toute aussi mouillée que toi. Tu ne risques pas de me gêner. » Nous dormons épuisés par cette chaleur caniculaire. L’un contre l’autre nos souffles se rejoignent, dans le calme paisible de l’après-midi.
Il tremble, se débat, il rêve mon chien jaune. Il me réveille. L’écume pend à l’une de ses babines. Je souris de sa bêtise. Et puis de la mienne. Il rêve et alors je ne vois pas ce qu’il y a d’amusant. Moi je rêve aussi non ? Quelque chose longe les murs blancs de la salle aux marbres. Ce sont les rayons du crépuscule, il est tard. Je me lève et le chien jaune rêve toujours. L’extérieur m’appelle ! La nature est calme est fraîche, je dois sortir.
Au dehors le soleil explose tel un cœur rougeoyant ! La beauté de l’instant me donne le vertige. J’ai encore oublié de déjeuner ! Aucune importance j’ai besoin de me ressourcer. Retrouver mes marques animales, dans ce monde végétal. Je marche. Mes pieds nus et fins écrasent l’herbe du jardin. Il fait si doux. Derrière il y a cette femme. Cette inconnue qui veille chaque soir sous le vieux tilleul. Il n’y a que moi qui la vois. Je lui tourne le dos et me dirige vers le sous-bois.
Les dernières feuilles de l’automne craquent joyeusement à chacun de mes pas. La terre de la forêt est sombre et chaude, c’est agréable. Et puis mon obscur instinct ressent son aura. Il est là ce pouvoir maudit et ancien ! Il rôde tel un prédateur dans l’air du soir ! Un instant j’écoute sa musique maléfique. Mon besoin animal reprend rapidement le dessus. La nature m’appelle.
Ce parfum enivrant, si sucré et si doux à la fois. Il est comme la proie, que je deviens inconsciemment ! Je repousse cette idée, comme celle de la peur ! On ne peut craindre la nature dans la forêt, comme une araignée dans une maison. Ce goût, ce parfum vite, ne plus réfléchir. Enfin je les trouve au pied du chêne. Ses demoiselles si fragiles, au violet d’une fleur. A pleines mains je les arrache ! Je les colle à ma figure brûlante, je les respire plusieurs fois ! Ça y est la fièvre est passée. Mais pas la présence !
Elle se retourne, il la domine de tout son être. Dans son innocent regard on peut lire horreur ! Elle est prise au piège ! Sur ses lèvres de satin se lit défi, c’est le vampire. Il se met à genoux pour être à la hauteur de l’adolescente. Ses longs cheveux englobent son visage, tel un voile mystérieux. Etrangement, ils ont gardé la blondeur de l’enfance. Il laisse ses longs doigts pâles, s’approcher de la jeune fille. Il veut la toucher. Celle-ci crie, recule. Elle refuse ce contact ! Les violettes referment leurs sombres corolles, l’obscurité devient fatale.