Le dix août deux mille cinq. Dix heures trente du soir. Il fait nuit totale. Couchée sur le sol de la forêt, je respire tout doucement. La fraîcheur moite du soir m’endort, une brise caresse mes jambes nues. Me donnant la chaire de poule. Elles sont éclaboussées de sang frais. La jupe rose relevée à mi-cuisse, rouge et poisseuse colle à ma peau.
Mon corps svelte reste inerte. Mes yeux fixent les ténèbres. C’est fini. Lentement mes paupières clignent, puis vient cette larme. La goutte glisse, s’écoule de mon œil gauche, roule jusqu’à se perdre dans la terre. Pourquoi cette larme ? J’en connais la raison. Il faut toujours que je sois triste. Après avoir tué, il faut toujours que je sois triste. Cette phrase revient sans arrêt dans ma tête. Je suis un assassin, mais mon cœur est humain. Jamais je n’éprouve de plaisir à tuer des vampires.
Soudain, j’ai une crampe. Ma main droite est restée accrochée au manche trop longtemps. Il est sale, mon poignard d’argent. Sale de son sang. Je crie en voyant s’écouler le liquide vermeil et luisant. Il s’échappe du mort. Quelle horreur ! Et merde ! Ça m’apprendra à rester allongée près d’un cadavre. Je me relève en m’appuyant contre le chêne séculaire. « Si tu avais une langue tu en aurais des choses à raconter mon vieux ! »
Ca y est, je vais vomir. Ma bile jaune et acide s’éclate sur les violettes. Comme il fait froid !
Des pas font craquer le sous- bois ! J’ai la tête qui tourne.
« C’est toi maman ? Tu peux venir m’aider ! »
« Daphné, dans quel état tu t’es mise ! »
Rien qu’à l’entendre, je ris de bonheur ! Ma mère est pour moi le meilleur réconfort du monde.
« Dans celui d’une empaleuse de vampire, pourquoi ? J’ai une douche à prendre ! Tu m’aides à rentrer ? »
« Il t’a blessé ? »
« Juste la cuisse. Enfin rien de bien grave. Tu me guériras ! »
« Et le cadavre ? »
« Ne t’inquiète pas, avec un bon seau d’eau bénite il n’y aura plus rien ! Ca le dévorera comme de l’acide. »
Assise sur une des chaises en fer forgé de la cuisine, je contemple ma mère. Combien de fois depuis mon enfance, a t -elle pratiqué son don pour me soigner. Elle est une guérisseuse par magnétisme. Ses mains douces et fines, ont la puissance de guérir les maux de la chair. Elle peut soigner une blessure par balle, mais pas un cancer.
Maman a gagné beaucoup d’argent avec ses facultés psychiques. C’est grâce à elle, si nous vivons dans autant de confort. Cela ne l’empêche pas de guérir les personnes les plus démunies, gratuitement. L’argent n’est pas tout.
Exposée à nu, ma cuisse droite porte de longues griffures profondes. Douloureuses, elles me brûlent. Ce sont celles que le vampire m’a faites avec ses ongles. Lorsque je lui ai enfoncé mon poignard en pleine gorge, sa main s’est accrochée à ma jambe. Peut être avait - il l’espoir que je recule, à cause de la douleur. Quoi qu’il en soit, il n’a pas su prendre en compte ma résistance physique et mon agilité. Avec rapidité je lui ai collé contre la poitrine, mon arbalète miniature. Puis j’ai appuyé sur la détente, lui tirant un carreau en plein cœur.
Je suis une empaleuse de vampire. La nature m’a offert des talents innés. L’agilité d’un félin, me permettant d’être dix fois plus rapide qu’un être humain normal. Et parfois aussi plus qu’un vampire. Quant à ma résistance physique, elle est supérieure à la norme. Une blessure comme celle que m’a infligée le vampire, aurait arraché la jambe à une personne normalement constituée.
Mon sixième sens de tueuse, est un véritable radar à démon. Il me permet de repérer toute sorcellerie dans l’air et présence néfaste. Aucun vampire à la ronde ne peut passer sans que je ressente son pouvoir. Enfin, aucun démon mineur. Certaines créatures, comme les anciens vampires, savent rendre leur thaumaturgie carrément indétectable.
Mais la magie n’est pas tout. Tuer un suceur de sang, nécessite des armes. La plus basique reste l’objet de culte. Il maintient les créatures malfaisantes à distance. Repousse le malin. Son appartenance religieuse n’a aucune importance, ni le matériel dans lequel on le façonne. Il marche uniquement si celui qui le porte est un croyant. C’est la foi du porteur qui lui donne son pouvoir.
L’eau bénite a des propriétés remarquables et on peu s’en servir contre de nombreux démons. C’est un genre d’abrasif qui met les vampires en charpie. Par contre elle ne fait qu’effrayer les goules et zombies. Et n’a aucun effet sur les gargouilles. Le gros sel, ou encore le sorbier et surtout les roses sauvages, servent à la préparation de poudre ou de crème pour exorciser une personne ou désenvoûter un lieu.
Quant à L’argent, il reste le meilleur moyen pour venir à bout des suceurs de sang. Mon poignard de 50 centimètres à double lame en est entièrement fait. De même je possède, une arbalète miniature. Dans les trente centimètres, facile à emporter. Il suffit de l’accrocher à sa ceinture. Ses carreaux sont en métal blanc massif.
La mère éponge la cuisse de sa fille avec des compresses. Un flot vermeil empreigne la blanche pureté du coton. « A mon avis ça ira me dit-elle. » Elle enlève sa fine montre en or. Relève ses cheveux châtains en queue de cheval. Puis appose ses deux mains sur ma plaie. Son front se plisse sous l’effet de la concentration. Lentement les tissus se reforment et renaissent. Bientôt la peau redevient cette barrière fine et élastique du corps. Et il ne reste plus une égratignure.
« Maman j’ai un doute. Ce vampire m’a suivie au concert hier soir. Et enfin il est carrément venu s’en prendre à moi, chez nous au manoir. »
« Dire que ton père aurait pu se trouver à ta place. Il n’a aucun pouvoir aucune protection lui ! »
« Tant qu’il reste à l’intérieur de la maison, il est sain et sauf maman. Tu le sais bien. Sans invitation un vampire ne peut entrer. »
« Et si jamais c’était la V.C ? »
« Ce ne sont pas eux. Arrête avec ça ! Bon je vais me changer. Merci pour ma jambe. On dîne ensemble si tu veux ? »