Enfance
Apollinaire Au jardin des cyprès je filais en rêvant,
Suivant longtemps des yeux les flocons que le vent
Prenait à ma quenouille, ou bien par les allées
Jusqu’au bassin mourant que pleurent les saulaies
Elyse J’observais les oiseaux, pépiants et buvant
Dans le trou pratiqué dans la glace devant
le bord du bassin rond, pour que la gent ailée
Puisse venir ici tenir une assemblée
Apollinaire Je marchais à pas lents, m’arrêtant aux jasmins,
Me grisant du parfum des lys, tendant les mains
Vers les iris fées gardés par les grenouilles.
Et pour moi les cyprès n’étaient que des quenouilles,
Elyse Puis je grimpais à l’if, aux fruits couleur rubis
Et dans sa frondaison j’observais les brebis
Boules de coton grège, écourtant l’herbe tendre
Sans craindre le loup gris qui ne pouvait entendre
Et que dans mon esprit, j’envoyais dans le bois
Où les gais farfadets, avec flûte et haut-bois
Enchantent les sibylles en mousseline blanche
Alors j’inventais là, assise sur la branche
Des chants aux mots secrets que seuls peuvent saisir
Les êtres dont le vent me comblaient de plaisir,
Dans ce ciel devenant une mer émouvante
où finement filaient les nuées mouvantes
Apollinaire Et mon jardin, un monde où je vivais exprès
Pour y filer un jour les éternels cyprès.