ARAGON C’est une chose étrange à la fin que le monde
Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midis d’incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes
ELYSE je connaîtrai enfin ce chemin inconnu
Qu’empruntèrent un jour sans retour nos semblables,
Et qui ne sachant pas, nous rendaient misérables,
Orphelins pour toujours, avec nos cœurs à nu.
ARAGON Rien n’est si précieux peut-être qu’on le croit
D’autres viennent Ils ont le cœur que j’ai moi-même
Ils savent toucher l’herbe et dire je vous aime
Et rêver dans le soir où s’éteignent les voix
ELYSE J’ai souvent constaté qu’un petit prend la place
Qui reste vide un temps au départ d’un parent,
Et poursuit le destin qui devient apparent
Comme si le chaînon humain jamais ne casse.
ARAGON Il y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l’aube première
Il y aura toujours l’eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n’est le passant
ELYSE ELYSE Ne restera de nous qu’une trace éphémère,
Qu’on soit roi, vagabond, honnête homme ou bandit,
Seul un fait important du passage survit,
Dont ne subsistera parfois qu’une chimère
ARAGON C’est une chose au fond que je ne puis comprendre
Cette peur de mourir que les gens ont chez eux
Comme si ce n’était pas assez merveilleux
Que le ciel un moment nous ait paru si tendre...
ELYSE Lorsqu’on a vu s’ouvrir un jour le canal blanc,
Ce cône étincelant, tourbillonnant vertige,
La mort ne fait plus peur mais cependant exige
Que vous l’empruntiez,quand viendra le moment.
ARAGON Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici
N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle
ELYSE A présent me voilà dans cet automne ambré,
Laissant derrière moi des prières ombreuses,
Où j’ai du engranger des phrases curieuses,
Dont je découvrirai le faux ou l’avéré .