Venez tous sous l’arbre voyageur !! Il fait chaud aujourd’hui et j’ai à vous parler.
Dans le village de Kek-Par, le chef Woloof semblait empli de pensées pas amicales du tout envers l’un de ses administrés.
Même le ciel bleu l’avait senti qui s’était prudemment retiré derrière quelques nuages. C’est qu’il avait une grosse voix, Woloof, quand quelque chose d’important chagrinait son front habituellement placide .
Les femmes sortirent de leurs cases, rajustant le pagne bigarré qui dansait autour de leurs reins, les hommes sortirent l’ombre des palmiers dattiers, rajustant leur chapeau de paille et les enfants sortirent de leurs jeux en rajustant rien du tout car là-bas les enfants vont nus.
Il était tombé tout le jour un soleil très émerveillé de sa puissance d’abêtissement de la Création.
Poussière rouge cachée-coquine entre les petites entailles des talons, tous s’installèrent autour de Woloof et l’écoutèrent.
Même l’arbre des voyageurs ouvrit ses feuilles pour mieux recevoir la parole qui irriguerait ses racines aux souvenirs.
- Il y a eu ce matin une sorte de grand malheur : l’un de vous a essayé de voler la harpe de son meilleur ami. L’un de vous n’était pas satisfait de son sort de chasseur...
- On ne va pas battre tam-tam pour une harpe qui a été rendue ! dit celui qui était incriminé.
- On battra tam-tam toute la nuit s’il le faut, car il vous faudra comprendre. Ecoutez donc !
Pendant que le chef parlait, le Griot s’installait en silence à quelques pas derrière lui, et, regard déjà enfui au loin, là où prennent leur sources les rythmes et les sons qui coulent dans les doigts, il effleurait lentement la peau tendue de la percussion fermement calée entre ses cuisses.
- Il était une fois un homme très habile, très doué. Tout ce qui passait entre ses doigts lui réussissait.
Il avait pour le reste du village construit de belles pirogues qui défiaient le courant du fleuve, avait conquis plusieurs épouses et les rendait heureuses, ce qui était son devoir, mais tout le monde ne sait pas toujours s’acquitter de ses devoirs.
Ce jour-là, il s’acharnait à rafraîchir le toit de sa case d’herbes encore jeunes. Nouant les fétus, il les assemblait sur l’enduit humide de pisé qui les épouserait pour un temps.
Quand un grand coup de vent arracha les quelques fagots déjà posés.
- Par le grand Baobab, dit cet homme, Vent rend moi les herbes !!
Mais le vent était déjà parti ailleurs ennuyer quelqu’un d’autre. Alors, dépité comme la hyène qui voit la charogne se relever, il se mit à crier :
- Damballah Weddo ! Je suis las d’être un homme attaché à sa condition d’homme, et de travailler autant pour rien, transforme moi en Vent »
Sitôt dit sitôt accompli.
Et voici le vent nouveau
Qui s’en va caresser l’eau
Coucher l’herbe avec violence
S’enrouler comme une danse
Autour des arbres surpris.
Patatras !
Un nuage passait par là...
-De quoi, on déssèche mon travail ?
On s’en vient rider mes fleuves
et abîmer les écailles
de mes amis les palmiers ?
Et le nuage de se répandre en larmes sur le vent qui en est presque tout noyé.
De la petite voix qui lui reste, Vent crie :
- La condition de vent est trop misérable ! Le nuage a davantage de pouvoir ! Damballah Weddo, transforme moi en nuage .
Sitôt dit, sitôt accompli...
Et voici le beau mouton
Blanc aux pattes de rosée
Qui joue à saute-montagne
Fait de l’ombre sur le sable
Et les oiseaux prisonniers.
Mais cela fait beaucoup beaucoup d’accidents. Les becs des oiseaux s’emmêlent, leurs serres se griffent et le nuage éclate en plus de mille morceaux.
Chaque morceau a très mal en arrivant sur les cailloux, et essaie en vain de se réunir aux autres mais c’est comme si leur voix leur faisait peur, ils se sauvent en suivant la direction de la pente la plus proche et le peu qui reste dans une flaque réussit à crier d’une petite voix...A ce stade là je vais demander au Griot d’accélérer la cadence car mon front s’échauffe.
Donc d’une petite voix, une flaque toute effarouchée crie :
-Damballah Weddo, je vois bien que le sort de nuage n’est pas très enviable, transforme moi en ces folles herbes de la savane qui m’ont donné tant de courroux.
Et sitôt dit sitôt.... ?
-ACCOMPLI crie l’assistance.
-Bien bien, vous avez compris une partie de l’histoire.
Le voilà donc herbe posée . Pour la première fois de sa vie, il peut regarder de près sans crainte d’être mangé les magnifiques yeux des fauves guettant leur déjeuner de la journée. Pour la première fois de sa vie il comprend ce que cela signifie qu’ être caressé par une brise douce ou par les rayons du soleil au lever du jour. Il est très content de son sort quand un homme arrive qui lui arrache les cheveux par poignées et met le feu à ses racines .
- Damballah Weddo, transforme moi en homme, la condition d’herbe est trop chaude pour moi !
-Sit...
-...Ôt dit sitôt accompli !!
Et le tam-tam gronde et le tam-tam bat et déjà des enfants sont en train de tourner sur le sol, des adolescents de faire la roue et les femmes se tenant par les épaules de faire la danse du serpent autour de l’arbre.
-Arrivé à sa maison, que voit notre homme ? Qu’il a perdu beaucoup de sa substance à vouloir de force en goûter d’autres...Le vent noyé lui avait fait perdre du souffle, le nuage éclaté de la chair et les herbes brûlées ses os et ses cheveux. Il était comme un Zombie.
-Damballah Weddo !. rends moi ma forme d’origine sinon je vais me plaindre.
Et alors, de sa voix sombre comme la nuit, le Dieu serpent lui dit :
- Et à qui te plaindras tu, pauvre niais ? Je veux bien te rendre ta taille et ta substance mais à une condition... Que tu acceptes les aléas de la tienne et demandes pardon à la nature de l’avoir offensée en voulant lui dérober ses formes. Il faut que tu saches pour toujours que parfois les choses sont de conséquences irréversibles. Et que ce n’est pas parce que tu te jettes dans un puits que la providence est obligée de venir t’y chercher.
- J’accepte, j’accepte, mais rends moi ma forme , sinon je ne pourrais plus aimer mes femmes .
Sitôt dit sitôt... fait.
Et le revoici sur son toit en train de batailler en silence avec le Vent, les nuages, les herbes et tout le reste. Et depuis, tout va bien.
Vous voyez, vous tous, et toi, surtout, toi, c’est vrai que tu as rendu la harpe.
Maintenant , demande à ton ami de te rendre ta condition d’ami, car cela dépasse mon pouvoir.
L’Arbre du voyageur referma ses feuilles. Il en avait entendu assez pour au moins une semaine.
Et vous ?