En ces temps-là dans mon Pays Cheyenne tout n’était qu’ harmonie. Les Dieux créateurs du Monde se reposaient de leurs efforts, assez contents d’eux ma foi, et faisaient chaque soir la fête au bord de l’étang. Les repas étaient somptuaires, à en éclater la panse, si abondants en fruits et mets délicats qu’ils jetaient leurs restes de caribou à Grenouille qui en retour, chantait...
Elle se sentait un peu gênée de ne faire que chanter, elle aurait voulu remercier les Dieux de leurs largesses d’une façon plus éclatante. Il lui revint alors un vieux ragot selon lequel les Dieux à force de se gaver avaient beaucoup grossi du ventre et maigri de la pensée. Toute nouveauté leur était régal et stimulation à leur paresse.
Et si elle leur offrait un cadeau jamais vu nulle part ?
Elle sautilla hors de la mare, s’en alla clopin clopinant dans la forêt et se posta sous un vieil arbre.
-Bouleau, j’ai besoin de ta peau !
-Mais je ne veux pas, moi, décampe !
-J’ai besoin de ta peau tout de suite tout de suite.
-Sauve-toi vite sinon je vais agiter mes branches, réveiller le vent, provoquer une tempête et l’orage va tomber sur ta pauvre tête verte.
Grenouille s’accrocha au tronc du bout de ses pattes un peu collantes, arracha l’écorce du bouleau, et se sauva très vite. Bouleau était immensément fâché de ces blessures qu’il n’avait pas cherchées, d’ailleurs il en reste traces noires de colère et blanches d’indignation.
Notre amie émietta l’ écorce et la fit sécher au vent qui venait de la mer
L’ enveloppa dans des feuilles
Et demanda à l’aigle des montagnes de les porter chez les Dieux afin de farcir leurs calumets.
Il faut vous dire que les Dieux avaient fabriqué un peu au hasard de grandes pipes de bois et ne savaient plus trop à quoi cela pouvait bien servir.
Mais ils étaient usés de leurs veillées et plusieurs soirs durant ne revinrent pas à l’étang.
Grenouille qui attendait remerciement chanta le plus fort possible pour les réveiller, mais sa voix fatiguait. Comment porter une voix au-dessus des canyons et des rivières quand on est si petite ?
Alors elle retourna à la forêt, arracha l’écorce d’un autre arbre ce qui provoqua la colère noire et l’indignation blanche de tous les bouleaux à tout jamais . Puis elle demanda à l’aigle de porter un nouveau paquet aux Dieux.
Pendant que l’aigle préparait, son plan de vol, elle se glissa dans le paquet.
Mais l’écorce de bouleau avait de la mémoire et peut-être même un peu de rancune...
Elle se fit poussière, si petite si petite qu’elle pu ramper dans le nez de Grenouille.
Et que se passa-t-il ?
En plein vol, je vous le donne en mille
Et même en cent si vous voulez,
La grenouille éternua tout au fond du paquet. Et le paquet s’ouvrit de surprise !
L’aigle avait bien senti le paquet plus pesant que la fois précédente. Il vit avec effroi la Grenouille s’échapper par l’ ouverture et tomber vers le sol où elle allait inévitablement se fracasser. Il la retint au dernier instant par une patte.
Bouleau-Très-Faché suivit des feuilles sa chute.
D’une branche fourchue la retint par l’autre patte.
Aigle voulait continuer son vol et tirait...
Bouleau voulait lui faire la morale et tirait aussi.
Grenouille tirait de son côté pour échapper au destin. Plus elle tirait pour se dégager, plus le destin tirait aussi et plus les pattes s’allongeaient.
Grenouille était très très vexée. D’une vexation aussi longue que ses pattes. Elle finit par s’échapper et sauta dans le premier bayou venu.
Les Dieux, pour lesquels ces choses là n’ont que peu d’importance, lui dirent pour la consoler qu’elle deviendrait une merveilleuse sauteuse grâce à ces pattes.
Mais depuis Grenouille a honte et ne sort de l’étang que le soir.
Et depuis les bouleaux, très contents car ils ont fini par accepter de vivre au jour le jour et à la nuit la nuit se pavanent en habit de soirée...