Deux petites filles se promènent dans les bois avec leur grand-père.
Blondes toute deux, aussi belle l’une et l’autre mais si différentes cependant.
Marie, l’ainée marche calmement, elle tient son grand-père par la main.
C’est une enfant très sage, très gentille.
Sa sœur Rebecca marche devant, elle est très difficile, parfois méchante, souvent insupportable.
Les grands- parents ont recueilli leurs petites filles.
La mère est en prison reniée par ses propres parents.
Le père a fui devant cette mauvaise femme.
Marie est sereine et pensive.
"Ca sent l’automne.
Ça sent les fleurs dans le vase oublié.
Ça sent les foins du champs du père Lafigue, se dit-elle ».
Ils retournent tous les trois là-bas dans la petite maison où les attends patiemment la grand-mère assise devant la cheminée.
Le fumet délicieux de la bonne soupe aux légumes accueillera nos promeneurs fatigués.
C’est une après-midi d’automne comme les autres. Ils ne se doutent pas qu’un évènement va rendre cette journée particulière.
Ils arrivent au tournant du « Gros Chêne », quand soudain apparait un chien sale, pouilleux et très maigre.
Rebecca l’aperçoit, une lueur meurtrière brille l’espace d’un instant dans ses beaux yeux verts, comme le regard du fauve prêt à bondir sur sa proie.
En un éclair, un caillou fend l’air et atteint la pauvre bête qui détale avec un couinement de douleur.
Rebecca hurle :
— Vas-t-en sale bête, tu es trop laid, tu sens mauvais, si je t’attrape…
Marie et le grand-père l’arrêtent, mais le pauvre chien a déjà filé.
Le grand-père sermonne Rebecca, qui n’écoute pas.
Elle fait la moue, elle est déçue et abandonne à regrets les quelques pierres restées dans sa main.
LE NOUVEAU
Le lendemain matin, les deux sœurs franchissent le portail de L’école élémentaire du bourg. Dans la cour, des élèves curieux entourent un nouveau, cheveux noirs bouclés, pas très grand pour ses onze ans. Il s’appelle David et prétend être magicien.
Les enfants se moquent, le traitent de menteur. Rebecca va se joindre à eux.
La cloche retentit, les écoliers ramassent leurs cartables. Les rangs se forment, tous entrent dans les classes.
David est présenté.
L’instituteur ordonne :
— Prenez tous votre livre de lecture. Puis il prend sa craie et note sur le tableau noir les leçons du jour.
David s’installe auprès du poêle. Les plus grands chuchotent dans le fond de la classe.
Le maitre pose sa craie et désigne David :
— Monsieur Torino, veuillez nous lire le passage page trente-six. Nous vous écoutons.
David prend le livre et se lève. Il lit du mieux qu’il peut. Des ricanements fusent du fond de la classe.
— Très bien, vous pouvez vous asseoir. L’instituteur saisit la règle posée sur son bureau, il en tapote négligemment la paume de sa
main.
Le chuchotement cesse complètement.
Le poêle ronronne doucement.
C’est la recréation. Dans un brouhaha indescriptible, les enfants franchissent la porte. Leurs galopades couvrent la voix du maitre
qui réprimande un élève indiscipliné.
Les groupes se forment dans la grande cour. Sous le préau, les filles sautent à la corde.
Quatre garçons des petites classes, en cercle à même le sol, sortent leurs billes de leurs petits sacs.
Les plus grands discutent bruyamment.
Des éclats de voix, des éclats de rire, donnent vie à cette cour d’école si paisible il y a un instant.
David est seul et silencieux.
Appuyé contre le marronnier, il regarde de ses yeux noirs et profonds les petits qui jouent aux billes en se querellant.
Les grands passent près de lui et le toisent d’un air supérieur.
On n’aime pas les étrangers par ici !...
Marie s’approche de lui :
— Bonjour, je m’appelle Marie, veux-tu jouer avec moi ? J’aimerais bien devenir ton amie.
David lui dit :
— Je veux bien parce que je sais que tu es une gentille fille, et je vais te montrer quelque chose. Regarde !...
Et au même moment apparait un petit bouquet de fleurs entre les mains de Marie.
— C’est donc vrai que tu es magicien.
— Je le suis, mais je sais aussi beaucoup de choses.
Rebecca s’approche de sa sœur et elle entend la dernière phrase de David.
— Tu sais… Tu ne sais rien plutôt… On a vu comme tu lisais tout à l’heure, tu n’es vraiment pas doué. Retourne en première année pour apprendre à lire Monsieur « je sais tout ».
— Toi, Rebecca je te connais, et je sais qu’un jour tu le regretteras. Tu seras malheureuse .
Rebecca hausse les épaules et retourne à ses jeux.
— Marie, quand tu rentreras chez toi ce soir, une surprise t’attendra.
— De quoi veux-tu parler ?
— Je peux seulement te dire que ça te fera plaisir. Il ne voulut pas en dire plus.
La journée se termine, les deux sœurs rentrent chez elles. Le grand père attend Marie pour lui faire une surprise. Il est parti tôt ce matin dans les bois à la recherche du jeune chien errant. Il a enfin trouvé la pauvre bête qui n’a pas eu la force de fuir bien loin du « Gros Chêne ».
C’est un chien blanc avec de grands yeux tristes.
Une bonne nourriture et beaucoup d’affection, et il sera beau et robuste, dit le grand père.
Marie est ravie et adopte immédiatement le jeune chien.
LE RETOUR DU PÈRE
David marche, il pense à haute voix :
— Je dois le dire à Marie, c’est important…
Il a eu une vision cette nuit, un homme ouvre une porte, une petite fille blonde se précipite vers lui, l’homme la soulève du sol en riant. Une autre fillette est assise à terre, elle pleurniche devant sa poupée cassée.
Il sait que sa vision annonce le retour du père.
— David !... Crie joyeusement Marie en courant vers lui.
— Marie, j’allais justement chez toi. Tes grands parents vont-ils bien ? Donne-moi des nouvelles de Princesse.
— Tout le monde va bien, et ce matin Princesse a gambadé dans la neige. Elle était drôle, elle sautait comme une folle après les flocons.
Et toi David, tu as bien l’air soucieux, as-tu des problèmes ?
— Je pressens au contraire une grande joie pour toi et ta sœur. Ton père arrivera dans les prochains jours, vous partirez toutes deux avec lui, loin de ce village.
Mais il emmènera ma seule amie, ajoute-t-il d’un air triste.
— Si tu dis vrai, je suis heureuse de retrouver mon père, mais ne crains pas de perdre mon amitié. Aussi loin que je sois, je peux t’assurer que toi, David, tu resteras toujours l’ami cher à mon cœur.
Les deux enfants au bord des larmes tombent dans les bras l’un de l’autre, et les flocons scintillants caressent doucement les cheveux d’or et d’ébène.
La nuit est tombée depuis longtemps.
Grand-mère se lève péniblement et abandonne son ouvrage sur l’accoudoir du fauteuil. Elle se dirige lentement vers la fenêtre ornée de vichy.
Un Rideau neigeux voile les ombres du bois d’à côté.
« Il met bien du temps grand-père pour fermer la porte de l’étable, se dit-elle. Dieu fasse qu’il n’ait pas une faiblesse comme la semaine dernière .
Il serait grand temps de se séparer des bêtes. La Blanchette est docile, et donne du bon lait, mais ses petits c’est trop de travail pour mon homme.
Peut-être en toucher un mot au père Lafigue. Les bêtes seraient vendues un bon prix. Sûr que ça ferait beaucoup d’argent de côté pour les filles ».
Grand-père entre, le capuchon de son caban sur la tête, il est suivi par un homme qui a les deux mains dans les poches de son
paletot. Grand-père se débarrasse et accroche la lampe tempête près de l’entrée.
L’homme regarde autour de lui en plissant les yeux, ébloui un instant par la vive lumière de l’ampoule électrique qui pend au plafond.
— Bonsoir Madame, vous ne vous rappelé sans doute pas de moi. J’ai épousé votre fille naguère, je l’ai quittée cinq ans plus tard. Il n’y a pas un jour que je n’ai pensé avec regret à mes filles restées avec leur mère. J’ai appris il y a quelques mois qu’on avait enfermé celle qui fut ma femme. Et les recherches que j’ai entreprises alors pour retrouver mes enfants m’ont conduit jusqu’ici.
— Donnez-moi votre paletot Monsieur, et asseyez-vous je vous prie.
La prédiction de David s’est réalisée, le père est revenu. Il fut décidé de commun accord d’attendre les grandes vacances pour le départ des deux fillettes.
LA FUGUE DE REBECCA
Rebecca a disparu. Les paysans des environs, le père Lafigue et ses deux garçons, le grand-père et David partent à sa recherche. Le grand-père s’approche de David,
— Oh, mon petit David, où est-elle allée avec ce froid ? Je voulais la corriger pour avoir enfermé la chienne dans l’armoire après l’avoir
maltraitée. A présent, je souhaite seulement retrouver ma petite fille. Ne peux-tu nous aider, cher David ?
— Hélas, je ne le peux pas, ce serait pourtant mon plus cher désir.
Jean Lafigue marche devant, il s’arrête soudain et se penche vers le sol. Son couteau est tombé de sa poche et se met à tourner comme une toupie sur la terre durcie par le gel. Il y tient à ce couteau, c’est son oncle Anselme qui lui a offert pour ses quinze ans, depuis il l’emporte partout.
Son manche est en bois, gravé de deux serpents entrelacés. Jean le fixe ahuri, la bouche grande ouverte.
Il est bientôt rejoint par David.
Le couteau s’arrête. Jean avance la main pour s’en saisir.
— Attends, c’est peut-être un signe…
Vois, il indique la direction de la rivière.
Jean observe David qui vient de s’adresser à lui et lui demande :
— Le père m’a raconté de drôles de choses sur toi…
Sais-tu où se trouve Rebecca ?
— Je l’ignore, tout comme toi.
Il laisse Jean récupérer son couteau.
— Dis-moi Jean, que penses-tu de Rebecca ?
— Belle fille, mais toujours à lancer des jurons et grimper aux arbres, c’est un vrai garçon manqué.
— Tu as raison. Allons vers la rivière, nous trouverons sans doute la sauvageonne qui ne doit plus être très fière à l’heure qu’il est.
La nuit commence à tomber.
Les hommes découragés abandonnent la battue.
Le grand-père est fatigué, il rentre la mort dans l’âme. Seuls David, Jean et son frère continuent les recherches.
Rebecca a froid, elle a marché pendant des heures.
— Je ne me laisserai pas punir, la chienne elle ne m’aime pas. Chaque fois que je l’approche elle s’enfuit. Je l’attrape et elle veut me mordre. Elle a mérité les coups de baguettes que je lui ai donnés. Grand-père il voulait me corriger, il ne me retrouvera jamais. Et ce père qui est venu d’on ne sait où, qu’il reparte celui-là, je ne le connais pas.
Il fait froid, je suis si fatiguée. Si je m’arrêtais un peu pour me reposer, rien qu’un tout petit peu.
Voilà le pont du diable.
C’est un gros pont de pierre, vieux mais robuste, amical en plein jour, mais là il me fait peur. Des gens racontent que le diable sous les traits d’une vieille femme attire les promeneurs égarés dans le brouillard ou l’obscurité, et les pousse dans les eaux noires de la rivière.
Le meilleur nageur peut toujours se débattre, il est happé, attiré inexorablement dans les profondeurs par des démons boueux aux mains glaciales.
Le grondement menaçant de la rivière terrifie la petite.
— Je vois une lumière qui bondit de droite à gauche, serait-ce le diable ? A présent elle est derrière moi. Je cours, j’ai peur, il fait trop noir, et cette lueur qui me poursuit… Je suis sur le pont, je vais tomber, me noyer, je sens déjà l’haleine nauséabonde de la vieille femme.
Je hurle : « Non, ne me touchez pas, je ne veux pas... »
Et Rebecca s’évanouit.
Le feu follet qui a fait si peur à Rebecca a guidé les trois jeunes gens vers elle. Jean, le plus costaud des trois transporte Rebecca dans ses bras jusqu’à la maison d’Eugène, c’est lui qui promène les touristes parisiens avec la carriole.
Le brave Eugène les ramène tous les quatre, il sera remercié comme il se doit par un bon repas et une bonne bouteille.
— Elle a besoin de repos, dit le docteur à la grand-mère inquiète.
Princesse regarde de loin sa tortionnaire allongée, immobile sur le lit qu’elle partage avec sa sœur. Elle s’approche craintivement et vient lécher la main de la fillette endormie.
Rebecca se réveille, elle voit la chienne. Une interrogation muette se lit dans son regard :
— Pourquoi ?... Tu ne me déteste donc pas après ce que je t’ai fait.
Alors ses larmes se mettent à couler, ça lui fait du bien de pleurer. Elle caresse doucement la chienne, qui enhardie s’est glissée jusqu’à elle.
Marie entre, et voit sa sœur en larmes.
— Rebecca que se passe-t-il ? Lui demande-t-elle.
— Je voudrais voir David, j’ai besoin de lui parler.
Peux-tu lui demander de venir ?
David pénétra dans la petite chambre. Derrière la porte close, personne ne sait ce qui fût dit. Mais à partir de ce jour, la transformation de la fillette étonna tout le monde.
— Elle ne jette plus de pierres après les chiens et les oiseaux disait l’un.
— Elle est polie et serviable avec les vieux disait l’autre.
— Et elle ne grimpe plus aux arbres comme naguère disait un troisième.
Tout le monde s’accordait à dire que la petite sauvageonne devenait enfin une petite jeune fille comme il faut.
C’est avec une grande fierté que le père emmena ses deux petites demoiselles à la grande ville.
Marie et David sont toujours de bons amis.
Le garçon n’a jamais voulu raconter ce qui était arrivé dans cette chambre, il garda toujours sur ce sujet un silence obstiné.
FIN