Le 27 novembre 2005
Aujourd’hui, la neige m’a barré le chemin qui mène à toi. Empêché de te rejoindre pour te dire « je t’aime », j’ai décidé de t’écrire.
Et le kaléidoscope s’est mis en marche … Comme chaque année depuis neuf ans.
Faute de déposer des fleurs, je pose mes mots au seuil de ta maison froide que la neige ensevelit. Et mon cœur, toujours à toi, grelotte auprès du tien.
***
Neuf ans et un jour plus tôt.
26 novembre.
Elle était sur les marches de notre maison, appuyée sur mon bras, me disant « à demain ». Le vent qui siffle … Vent de novembre ! … Un ciel bas et gris.
Vent de novembre
Le vent
Souffle sur les cendres
Et je vois la nuit descendre
Noire nuit de novembre
Sur les restes du feu
Le feu
S’est éteint brusquement
Comme se coupe un fil
Comme éclate un sanglot
Comme claque une lampe
La lampe
Qui éclairait ma vie
Sans que je m’en aperçoive
Jusqu’au soir où tout seul
J’ai pleuré dans le noir
Le vent.
9 juillet 1998
***
Le soir en me couchant, j’eus un pincement au cœur en voyant sa place vide … Un grand froid, un vertige de l’âme, une sorte de peur … J’appelai mes chiens près de moi pour me réchauffer et me rassurer.
Demain
Demain, si tu voudras,
Te cueillerai des fleurs
Pour t’en faire une robe
Et t’emmener danser.
Il faudra que j’apprenne à danser avec toi.
Demain, quand tu mourras,
Te jetterai des fleurs
Pour t’en faire une robe
Et m’enfuirai pleurer.
Il faudra que j’apprenne à vivre sans toi.
9 juillet 1998
***
27 novembre
Je faisais cours dans cette vieille annexe que l’on appelait « La Rotonde » et dont j’ai conservé une pierre, offerte par les étudiants.
La pause de 16 heures approchait.
On frappa à la porte.
Un appariteur, j’ai oublié son nom, je vois encore son visage. Il jeta, sur un ton étrange : « Votre fille, Monsieur … Au téléphone … C’est urgent. »
Je cours au téléphone.
Quatre mots, entrecoupés de sanglots. : « Papa !! Maman est morte !! »
Et nos vies qui basculent dans une stupeur incrédule qui n’est pas encore la vraie douleur, celle qui viendra bientôt, à son heure, celle qui paralyse le corps et l’esprit.
Je n’ai pas le temps de pleurer, pas encore. Mon fils, ma fille, les protéger, les entourer d’amour. Annuler mon cours. Aller chercher mon fils, rejoindre avec lui ma fille près de sa mère … Aimer, aimer !! Seule façon de vaincre la Mort …
« Je suis obligé de vous laisser. Je ne suis pas en mesure de vous dire quand aura lieu le prochain cours ; vous serez prévenus par voie d’affiche. Veuillez m’excuser, au-revoir. »
Curieusement, il n’y a pas l’habituelle manifestation de joie qui accompagne ce genre d’annonce …Un grand silence … Ils ont compris.
Sauter dans ma Volvo, aller chercher mon fils. Il arrive en même temps que moi près de l’entrée du garage, derrière la Fac. Il est grand sur son petit scooter rouge, si grand ; il est maigre, si maigre ; il est blanc, si blanc ! Que je devine qu’il sait …
Il pleut, bien entendu, et la pluie ruisselle sur son visage, épargnant sa pudeur de jeune orphelin.
Nous roulâmes sans un mot jusqu’à l’allée des peupliers, distante d’environ 15 kilomètres. J’avais du mal à voir la route, sacrée putain de pluie qui coulait sur mon visage, même dans la voiture.
………………………………………………………………………………………………….
Tu gisais défigurée au pied de l’escalier rouge. Rouge de ton sang. Mais je ne voyais que celle, jeune et jolie, aimante, confiante et courageuse, dont je porte encore le prénom au chaud de ma main gauche. Je me penchai vers toi pour te jurer mon amour…
Le reste n’a pas d’importance.
Tant que je t’aime, tu vis.
L’amour est plus fort que la mort.
Parce que je le veux.
Je t’aime. Et je sais … Je sais …
Je sais
Quand mon fils joue Chopin, je sais qu’il pense à toi
Quand il pleut le matin, c’est parce que tu pleures,
Quand notre soleil luit, c’est que tu le nettoies ;
Le temps s’étire et fuit ? Je sais que tu demeures.
Que ma fille me gronde, je sais qu’elle te remplace ;
Quand je parle tout seul, c’est que je te réponds
Quand le soir je me couche, je te fais de la place ;
Sais que tu me regardes lorsque la neige fond.
Quand un train sort des rails, je sais que tu es dedans
Quand un navire sombre, éventré par les glaces,
Je sais que sur le pont tu cours vers les enfants ;
Dans l’avion qui s’abîme, je sais que tu as ta place.
Quand mon fils joue Chopin, je sais qu’il pense à toi,
Que ma fille me gronde, je sais qu’elle te remplace,
L’ombre claudicante et torse, qui se déplace,
Je sais que c’est toi, qui monte vers la Croix.
9 juin 1998
***