Se pourrait-il qu’un jour, du cœur de l’océan,
Emerge dans les brumes cette île fabuleuse
Reposant sous les flots depuis la nuit des temps ?
Un rêve bien souvent me revient en mémoire...
Une femme apparaît, me conte son histoire.
Son pays, ses palais, les jardins suspendus
Et, caressant les grèves, le flux et le reflux
D’un paisible océan où balancent les algues,
Comme reflets cuivrés sur les toits d’orichalque.
Et la vie s’écoulait ...
La paix régnait ici depuis plus de mille ans
Quand au soir du Grand Rite célébré au couchant,
Un vieil homme en haillons s’approcha de l’autel
« Ô Princes de ces lieux entendez-vous le ciel ? »
Le prophète parlait et le peuple écoutait.
Offensés, courroucés,les devins se moquaient.
Je me souviens d’un soir, sous nos yeux ébahis
Des myriades d’étoiles ont embrasé la nuit.
Mille flêches ardentes tombaient dans l’océan.
Un ultime présage : pour sept années durant,
Les conflits et la paix devaient se succéder.
Mais au lever du jour, tout c’était effacé ...
J’ai dansé au soleil avec le taureau blanc.
Les "Mouettes* autour de moi, portant leur talisman,
Sautaient, virevoltaient autour de l’animal.
Dans les gradins, grisées par le son des cymbales,
Trompettes et tambours qui rythmaient le spectacle,
La foule applaudissait, oubliant les oracles.
Lorsque soudain la terre commença à trembler.
Grincements, craquements, visages terrifiés.
Le sable de l’arène vibrait et ondulait.
Des clameurs s’élevèrent : le temple se couvrait
D’un voile de poussière et, de la ville au port,
Tous les chiens affolés hurlèrent à la mort.
Il fallut préparer un départ sans retour,
Une aube se leva, celle du dernier jour,
Soleil rouge et voilé mais plus un souffle d’air.
Entassés dans les barques nous attendions mes frères,
Leurs rapides trirèmes devaient nous retrouver
Au large, en haute mer. Sous nos yeux effarés
Lave et roches brûlantes jaillissaient et tombaient
Dans les flots en furie. La terre se convulsait.
Une immense lueur jaune puis rouge sang
Illumina l’Ouest, fracas assourdissant.
Demeures et palais, comme chateaux de cartes,
S’effondrèrent alors devant les foules hagardes.
Notre île agonisait ...
Épuisés, affamés, dans un grand désarroi,
Nous errâmes sur l’eau pendant quatre longs mois,
Essayant d’effacer les regards, les visages,
Que nous avions laissés sur les anciens rivages.
Mais quand un jour enfin, une nouvelle terre
Surgit à l’horizon, nous louâmes nos Pères.
Ainsi me fut contée au fin fond d’une nuit,
La tragédie d’un peuple, à jamais dispersé
Dans les brumes de cendres de son monde englouti...
* * * * * * *
* les Mouettes : jeunes danseurs et danseuses vêtus
de pagnes courts blancs qui exécutaient des figures
acrobatiques face à un taureau.
Pas de mise à mort dans l’arène.
Cet animal n’était sacrifié que lors du Grand Rite.