Les doigts de sable
« L’expérience que la vie dément, celle que le poète préfère »
René Char
Doigt de sable évadé d’une prison sur l’autre,
L’homme fuit de sa mère au sablier des heures.
De sa mère à la terre, il est sable et frissons.
*
Quand ton doigt dessina sur mon dos ton regret,
L’arbre au vent se troubla que le ciel ait tonné,
Vint l’automne annoncé qu’un vague été poursuit.
Nous poussions vers le sol, à l’envers des forêts.
L’éclair nous détachait sur le front de la nuit.
Les vitres languissaient de jouer sous la pluie
Et le vent essayait son aile à tes cheveux
Les volets appelaient à regarder dehors
Le monde où nous passons sans trace de passage
Alors nous les fermions et nous volions la vie,
Posions des pas au ciel, empreintes de nuages,
Et ton doigt enlevait le sable de mes yeux
Par un éclair exact, vérité sur le mur,
Une ombre sincère de doigts fondus criait
« Je te veux »
Tu écrivis d’amour sur mon ventre un adieu.
*
Poète et Muse
« La poésie me volera ma mort »
René Char
Le jour encense l’air qui patiente au jardin
Sur le pas de ta porte où je serai demain
Si l’amour me déporte.
Marin privé de port, tu navigues ta rime
Au bonheur de son corps et tu jettes ton encre
Au profond de son puits.
Il pleut comme un dimanche
Et mes mots sur tes hanches font leur sel du silence.
Une vérité droite a montré le chemin
Mais des pensées étroites ont ralenti nos pas.
Poète n’écris pas si tu n’es que de mots,
C’est ta chair que l’on veut pour battre sous nos yeux.
Muse inviolée,
Muse imperforée qui se blesse à mes mots,
Je t’aime.
Net de vérité mais augmenté du rêve,
Juste matin d’un jour en bord de crépuscule,
Tribuable imposé sur le bonheur en fuite,
Poète, vis tes mots, dis ta vie, nie la mort.
*
Nuits et jours
« Le poète ne dit pas la vérité, il la vit ; et la vivant, il devient mensonger. Paradoxe des muses ; justesse du poème »
René Char
Nuits et jours s’affrontaient sur le parquet du temps
Nos mains rampaient à leur rencontre en contournant le monde
Le silence effrayé d’une ombre de géant
Disait aux sourds l’amour qui monte
Ils eurent peur et firent demi-tour
Debout sur leurs doigts gourds ;
Et depuis, le monde disparu,
Le silence s’est tu.
Etoiles
O mon corps en morceaux,
Chaque membre une étoile,
Ma lumière sereine est rentrée au berceau.
La Lune
Incurable silence à l’éternelle empreinte
Et des mots pour le dire à ta lumière feinte,
Comme un morceau de nous qu’une plainte arracha,
Comme un morceau de vous que la Terre cracha.
*
Jour après jour
« A chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d’avenir »
René Char
Il sortit d’un matin une pousse de rêve qui mourut en un jour
Fièvre brève d’amour
Nous courûmes guéris et nos routes perdues
Au dédale des rues
Ivres de nos mains
Aux bouges immobiles des étoiles ouvertes
Nous entrâmes sereins
Dans l’eau pellucide d’un miroir sans tain
Nous nous vîmes unis sur une page blanche
Ton silence acquiesça lorsque je pris tes hanches
Pour mourir avant l’heure
Et devancer demain.
Du matin sortirait une pousse de rêve à mourir en un jour.
*
Attente
« Le poème est l’amour réalisé du désir demeuré désir »
René Char
Le jour où j’ai croisé ton regard et sa route
Pour les perdre aussitôt aux morphines du doute,
J’ai confié tes élans au carré de lumière
Qui retient l’Ephémère entre les murs d’hier
Tu attends ce moment où la chandelle baisse,
Les bouches des prisons s’ouvriront sur la nuit
Enfin libres vivront les mots tenus en laisse
Par un cœur épuisé de patienter sa vie
Il y aura un cri et moi seul à l’entendre
Lorsque sur le miroir au soupir de tes lèvres,
Noyé dans la buée de nos dernières fièvres,
Ton souffle m’écrira « je t’aime et viens me prendre ! »
Et mon âme quittant son enveloppe infâme
Tout doucement viendra se blottir à ton âme.
4-8 mai 2007