Bernard, brave garçon, dont le nom de baptême
Était aussi celui de son cousin, lui-même,
Fréquentait ce dernier, mû par une amitié
Que l’autre lui rendait à plus de la moitié.
Ils étaient du même âge, et d’allure semblable,
Mais l’un était très riche, et l’autre, misérable.
Le cousin fortuné offrait donc très souvent
Son hospitalité à son pauvre parent.
Un jour que ce dernier, se trouvait à la table,
Du père de l’ami, quelques fois charitable,
Il arriva, soudain, que le cousin Bernard
Eut un empêchement qui le mit en retard.
Le père étant nerveux, la mère diabétique,
Et l’un des maints enfants, étant tout squelettique,
On ne pouvait attendre, il fallait commencer !
On donne au cuisinier, l’ordre de se presser.
Aussitôt apparaît une belle marmite.
Notre héros, tout seul, sans son ami, s’agite,
Il se fait tout petit, il n’ose pas manger,
Privé de son cousin, il craint de déranger.
Le repas continue et la famille bavarde,
Sans s’occuper de lui, qui sourit dans ses hardes.
« Il faut se résigner, dit le père déçu,
De l’heure, mon Bernard, ne s’est point aperçu.
Voulant le consoler, le pauvre petit diable,
Commit, on le verra, un crime irréparable.
« Cher oncle, permettez, dit-il, en rougissant,
Qu’en l’absence du fils, qui vous manque en l’instant,
Puisque j’en ai le nom, à défaut de la face,
Pendant une heure, ou moins, pour vous, je le remplace. »
À ces mots innocents, l’homme devient furieux.
Ce signe d’amitié, ne le rend pas heureux.
Ce qui surtout le frappe, l’irrite et qui le blesse,
Excite son courroux, lui cause une faiblesse,
C’est l’audace exhibée par ce jeune vaurien !
Il voudrait être tout, quand il est moins que rien,
Et, hypocritement, se hisser sur le siège,
De son fils adoré, au moyen de ce piège.
« Il est irremplaçable ! Cria-t-il, au petit,
Et d’ailleurs, vos propos m’ont coupé l’appétit. »
La soupe de Bernard, lui parut bien salée,
Après l’éclat de voix et la belle envolée.
Se gardant de répondre, il attendit la fin
Du repas ridicule pour s’en aller enfin.
Passèrent les années, et il est fort possible
Que cet odieux affront, car il était sensible,
Fut une des raisons qui le poussèrent à,
Se réfugier en Dieu et devenir prélat,
Sans oublier jamais, la malheureuse scène,
Qui s’était déroulée durant la courte cène.
***
Les ans passent encore et voilà qu’un matin,
Le curé de Bérard, un vieux dominicain,
Dans son sommeil, mourut, abandonnant ses ouailles.
« C’est toi, frère Bernard, c’est toi qui le remplace,
Annonça Monseigneur à notre vieil ami,
Qui, entre une centaine, avait été choisi.
- Accepter cet honneur, ne saurait être sage,
Répondit, le curé, les pleurs sur le visage.
- Mais que voulez-vous dire ? Venez-en donc au fait !
- Le fait est, Monseigneur, que moi, être imparfait,
Je ne puis remplacer, cet être irremplaçable ! »
L’évêque, ce saint homme, sans sortir de son gond,
Réprimanda Bernard, et sur un ton profond,
L’accusa du péché de fausse modestie,
Ainsi que de celui qu’on nomme flatterie.
Un jeune autre curé, s’en fut donc à Bérard,
Pour remplacer celui qui avait décédé,
Et qui, comme le sort en avait décidé,
N’était autre que l’autre, et vieux cousin Bernard.
La morale de ceci,
La voici, elle est ici.
Vouloir, ou, ne pas vouloir,
Remplacer l’irremplaçable,
N’apportera que déboir,
Et châtiment implacable.