Adepte du sonnet, soyez donc régulier !
Abandonnez l’espoir d’être mol à la rime.
Rimer au singulier un pluriel, c’est un crime.
Et ne liez donc pas ce qu’il faudrait lier.
Syllabez patiemment sur un ancien boulier.
L’hémistiche, tudieu ! ce n’est pas de la frime,
Et la césure donc, je vous la donne en prime.
Forgez des vers anciens en moderne atelier !
Surveillez votre "e" ! Muet il est docile.
Prononcé, c’est affreux, élidé, c’est facile !
Et, comme Antée le fit, retombez sur vos pieds.
Enfin, poétisez sur les pas de Pétrarque.
Sur la modernité sautez à cloche-pieds,
Laissez la Prosodie emmener votre barque !!
NOTES DESTINÉES A FACILITER LA COMPRÉHENSION DE CE SONNET
Ce sonnet, étant d’une extrême complexité de conception et de signification, m’a demandé plusieurs années de travail acharné et de documentation, puisée dans tous les siècles et toutes les langues, y compris le chinois traduit par les missionnaires jésuitiques du XVIII° siècle des Lumières. Il demande des explications que, si j’étais pédant, j’appellerais une exégèse. Mais je m’honore d’être simple, à tous les sens du terme... et voyons ça vers par vers.
Premier vers : Ne commencez pas à me chercher noise. Si "régulier" est au singulier c’est que je vouvoie un seul adepte ! Vu ! Bon.
Le sonnet doit être régulier sous peine de crime de lèse-sonnet. Mais notez que les termes ne sont pas choisis au hasard. Adepte fait allusion aux membres de la secte du sonnet (voir Littré) et régulier fait non seulement allusion à la règle du sonnet, mais aussi à une véritable ascèse monastique de ceux qui prêchent le classicisme prosodique régulier du sonnet.
2° : Le mou à la rime est le sinistre individu qui ne fait pas attention à la rime riche.
3° : Si vous faites rimer un singulier avec un pluriel vous êtes passible des galères royales du temps de Louis le Quatorzième. Donc essayez de r(i)amer autrement dans vos sonnets ! Isn’it ??
4° : Ne faites jamais rimer "liez" avec "lier", c’est pendable.
5° : Etudiez la prononciations de vos syllabes et comptez les à la mode du temps de François Villon.
6° : L’hémistiche (hémi = demi, moitié, etc..) est un demi vers de six pieds exactement qui coupe le vers alexandrin en deux morceaux comptant le même nombre de syllabes. Sinon, bernique pour avoir le label "régulier".
7° : La césure c’est la coupure, cerise sur la gâteau de l’hémistiche
8° : Là j’ai été faible, car on ne forge pas dans un atelier. On ne manquera pas de me le reprocher... Mais il faut dire que j’avais en tête le vers célèbre de Chénier : "Sur des parlers nouveaux, faisons des vers antiques" et je me suis fait un complexe d’infériorité bien normal en l’occurrence, qui m’a complètement inhibé. Est-ce bête !Je m’en veux je m’en veux...
9° : Attention, plus le "e" est muet, moins il casse les oreilles et les pieds, partout, mais surtout à la césure
10° : Ici, je vous donne la recette (avec élégance) pour ne plus vous enquiquiner avec le "e" . Notez que je fais exprès (quel talent !) de placer un "eux" bien sonore à la césure hémistichée.
11° : Je n’avais pas encore parlé des pieds, je les cas(s)e ici, avec une évocation du Géant Antée qui fait remonter le sonnet à la plus haute antiquité et lui donne des lettres herculéennes de noblesse !
12° : Ici, je rappelle que le sonnet classique régulier est d’origine ultramontaine, (d’où l’expression "sonnet spaguetti" pour désigner un sonnet trop mou), ce qui peut expliquer qu’il y ait eu à l’origine quelques erreurs de traduction dont nous pâtissons encore aujourd’hui (Les italianisants vont m’en vouloir, tant pis...)
13° : J’aime particulièrement l’image du poète vieille baderne sautant à cloche-pieds sur la bedaine rebondie de suffisance de la modernité. Note grammaticale : Il me fallait un "pieds" au pluriel, sinon le sonnet eut été irrégulier. Le Littré m’a indiqué obligeamment que cloche-pieds pouvait s’écrire au pluriel. Merci M. Littré.
14° : Enfin, malicieusement, dans une chute superbe d’ironie, je laisse entendre que toutefois le Prosodie sacro-sainte pourrait bien quelquefois mener le poète en bateau !!
Enfin notez pour finir que j’ai résumé ça en un sonnet de quatorze vers ce qui est un tour de force de sobriété spartiate.
N’applaudissez pas, je suis déjà assez sonn(é)et comme ça !!