Dix novembre quatre-vingt treize : tu partis.
Dix novembre deux mille huit : je suis ici.
Ces quinze ans qu’on m’a confiés, ô qu’en aie-je fait ! ?
Bien sûr, je ne t’avais rien promis mais tu sais :
J’étais marié. Qu’est devenue ta jolie sœur,
Maman de tes neveux puis regrets de mon cœur ?
En mariage - souviens-t’en - on se joignait
Et toi le huit février tu en témoignais !
Vive, douce, charmante, brillante, rieuse
Pour cela, avec moi tu la voulais heureuse.
Et qu’aie-je fait de son beau charme provençal
Si ce n’est le ternir d’un avenir bancal ?
Ô, qu’aie-je fait ? Oui ! j’ai offert des fleurs de peine
A la femme que mil’ fiers eussent pris pour Reine !
Dieu est charmant et ta sœur bonne sans forcer
Qui fort modestement a voulu divorcer.
Ah ! que voilà ma magnifique réussite :
Mon couple naufragé et moi son acolyte !
Pourtant, ma belle chère femme, je l’ai aimée.
En vérité ? - Oui te dis-je ! Je l’ai aimée !
Oh ! tu le sais bien , Ange des cieux qui vois tout,
Qui sens mes sorts malins et mes rêves debout.
Autour d’Elle étaient cent rêves acrobates,
Ah ! si mal tissés qu’il fallait bien qu’ils s’abattent !
Or, ces fils rompus ne veulent plus s’assembler
Qui ont crié : « au fou ! » en quittant l’assemblée.
Et depuis, mon Bon Bernard, je n’ai plus de rêve
Hormis mon linceul, morne compagnon. - Sans trêve
Je le ramène sur moi comme un saint froc en bure
Couvrant le frêle moine aux vêpres des augures.
Le tissu est fort rêche qui blesse le corps ;
Et la bure grise malmène aussi les forts
En gueule pour crier à l’âme qu’elle écorche
De polir le remord pour le funeste porche.
Cependant, attendant ce sauveur façonnage
Reste du repentir à en donner vrai gage.
Aussi fi l’adorable échéance ! Un temps
Ô sûrement, la fierté m’anima vraiment !
Pour l’heure, conviens que je dise les nouvelles
De tes neveux, douceur de mon cœur sans pareille.
Ils sont grands désormais. Et beaux et si gracieux :
Intenses joies que la vie me cède aux cieux !
A Paris ton neveu suit les doctes études :
Du brillant ingénieur il a sa certitude
Sa rigueur, sa ténacité et son courage ;
Mais il a su garder la fraîcheur de son âge
Qui offre de doux baisers à sa dulcinée
Et trouve en elle une si tendre destinée !
Il est brillant dis-je, et aimé et charmant
Il va sa vie de vainqueur et de bel amant.
Oh ! il fallait bien qu’il fût – lui - ces chers espoirs
Que je n’aie su procurer à l’aube des soirs !
Donc sa mère – femme douce – l’adore ainsi :
Grand qu’il est à défaut que je le fusse aussi !
Quant à sa sœur - ta nièce - la vois-tu aller
Ô belle jeune fille, en ces fraîches allées,
Ses joues roses riantes et son œil généreux,
Artiste accomplie en ce siècle ténébreux ?
Oui ! tu la vois - parrain regretté - et tu l’aimes
Et il t’en souvient les temps morts de son baptême !
Au malade emporté, ses huit mois souriaient.
Tu étais heureux mais tu n’es pas oublié.
Ta filleule te dit souvent des mots d’amour :
Dans ses dessins, quand elle peint, vieux troubadour
Tu y es ! Brillante elle l’est sincèrement
Et fiers d’elle, nous le sommes assurément !
Vois les destins des chers enfants : protège-les !
Ceux-là : sœur, neveu, filleule : protège –les !
Puisque, Grand, tu trône à la droite du Bon Dieu,
Dis Lui qu’Il les fasse heureux et encor’ très vieux ;
Dis Lui qu’Il fasse leurs vies, ô belles surtout !
Et qu’au soir si loin - à Eux - Il pardonne tout !
Quant à moi - mais tu le sais - je partirai bientôt.
Je ne puis plus vivre ni le tard, ni le tôt
Ni le jour, ni la nuit car toujours l’œil me voit !
Cent fois, sans cesse il me demande : - pourquoi ?
Je ne puis encor’ répondre à la Providence
Qui m’avait tout accordé, l’hiver en Provence.
Je ne suis Eurydice qu’Orphée y chercha
Mais vil Noël qui comme Héraclès s’y noiera.
Ainsi, je partirai : seul, nu, sans oriflamme,
Avec ma peine, mes regrets. J’irai aux flammes.
Sans Loi, pas de Ciel. Gage d’un trépas amer
On m’attend – tout prêt - au barathre des Enfers.
Ô joie ! : - Bernard - si bas - je ne te verrai pas !
Avec Dieu – Justes - de moi ne ricanez pas.
Noël.
23 et 24 novembre 2008