Vingt ans c’est la longueur d’un train de marchandise
Qui traverse le vent en emportant nos vies
D’Avignon à Paris ou de Naples à Venise
Voyage sans ancrage, envies inassouvies.
Wagons du souvenir, partir et revenir...
Quand j’attends sur le quai le train-train d’aujourd’hui,
Bagage de regret, valise de plaisir,
Assis sous la pendule au temps qui glisse et fuit
Je vois passer roulant sur le chemin de fer
Citernes de désirs avec un bruit d’orage.
Longue plage ventée par l’odeur de la mer,
Défilent les cités dans un lointain mirage.
Plates-formes bâchées qui roulent vers l’enfer,
Délires boute-en-train, chant de lyre enchantée,
Bergamasque masqué, fontaine fantasque
À la vasque cassée,
Bergamasque fantasque ou fontaine masquée.
L’esprit tout engourdi par le son lancinant
Des syllabes assourdies des bogies sur le rail
Feignant de m’endormir j’en écoute le chant.
C’est alors qu’apparaissent sortis d’un soupirail
Tout au long des couloirs comme un appel d’espoir
Fantômes du passé aux visages avenants,
Amis perdus de vue mais jamais oubliés,
Partis vers d’autres îles ou d’autres continents ;
Aussi, fixes regards de proches en allés :
Leurs paroles étranges interrogent la vie
Qui pour moi roule encore au fond de la vallée.
Hors de la nuit des temps où plus rien ne se passe,
Comment écrire la chronique de ce temps qui dépasse
Horizon confus de confins confondus.
Le cerveau bercé par le balancement
Du langage machine inventé, haletant,
Dont les sons obsédants résonnent encore
Dans un dédale de corridors...
Voici que le silence tout à coup s’établit.
Le train est à l’arrêt. Du sein des voyageurs mêlés
Dans la presse mouvante sur le quai débarqués,
D’un géant gris, fixe comme un rocher,
Jaillit la forte voix : - Qui donc veut bien m’aider ?
Me retournant je le vois tendant vers moi la main.
Je prends son bras, ainsi de l’aveugle destin
C’est moi qui doit guider les pas, moi l’incertain !