Je suis d’un temps passé, celui des vieilles lunes.
Du temps que l’on croyait avoir un avenir,
Du temps où n’avoir pas le moindre souvenir
Etait, de tous les maux, la plus grande infortune.
Ores donc, maintenant, rien n’a jamais de source.
Tout vient ex nihilo, et d’un seul coup, tout seul,
On extrait du néant un univers de course
Où l’on passe en six mois du berceau au linceul.
Nous n’avons pas le temps d’écrire notre histoire.
Nul ne sait d’où il vient, mais nous allons partout
Agiter nos néants sans soigner nos mémoires,
Guignols dégingandés dans un monde de fous.
Guignols, hochets, pantins, burlesques mais sinistres,
Eructant des chansons au lieu de les chanter,
Hantés de médias imbéciles et cuistres,
Funestes histrions, cervelles déjantées.
Loups cerviers déguisés en moutons de Panurge,
Viveurs désabusés, cupides et voyous,
Politiciens véreux et savants thaumaturges,
Nous sommes bien servis en vrais ou faux gourous.
Le futur, de nos jours, s’appelle prospective.
Le passé, c’est au plus quarante ans d’intérêt.
Au delà, c’est manie d’une âme maladive.
Le temps de nos papés, qu’il repose en secret !
Il suffit de monter notre rien au pinacle,
De l’insignifiant en faire tout un plat,
Adorer sans répit les nuls du tabernacle,
Vénérés aujourd’hui, demain au débarras.
D’ailleurs ces illettrés liraient-ils nos grimoires ?
Les lettres d’autrefois sont mises au placard.
On ne peut décréter le devoir de mémoire
Pour les rustres que sont ces humains de hasard.
Je suis d’un temps passé, retranché dans ma tête,
Guettant à l’horizon les hordes de braillards
Dont le seul maître mot est de faire la Fête,
Qui ont le crâne empli de vide et de brouillard.
Et pourtant, croyez-le, je n’ai pas de rancune,
Je ne fais qu’un constat, mais l’échec est patent.
D’ailleurs, est-ce un échec ou un signe des Temps ?
Je suis d’un temps ancien, celui des vieilles lunes...