Laisse-moi encore regarder la pluie se répandre en gouttes fines et glisser le long des vitres en larmes translucides et froides. Elle dessinent des chemins invisibles qui ne mènent nulle part, labyrinthes inexplorés où se mêlent point de départ et d’arrivée. Elle se transcende, se proclamant peintre pour mieux fixer les écarlates et les dorés des feuilles mortes au champ d’honneur de l’automne profond, sur les carreaux transparents, toiles éphémères et fragiles.
Laisse-moi regarder la pluie.
Laisse-moi encore regarder les arbres nus dans le jardin, leurs bras se tendent vers le ciel victimes crucifiés par l’hiver qui peu à peu s’installe. Les branches décharnées supplient la sève ambrée de venir une dernière fois ensemencer de vie leurs doigts qui s’engourdissent et meurent lentement. Les peupliers noirs frissonnent enfonçant leurs racines un peu plus dans la tourbe détrempée de peur que le vent ne fasse vaciller leurs bases les précipitant vers l’abîme de la terre.
Laisse-moi regarder les arbres.
Laisse-moi encore regarder les nuages qui crayonnent des troupeaux indociles d’animaux insolites et difformes sur la toile immense des cieux assombris. Toujours changeants, ils musardent ou accourent comme des badauds distraits par un quelconque incident puis reprennent leur route pensifs ou évaporés, se métamorphosant à l’infini.
Laisse-moi regarder les nuages.
Avant de plonger vers l’oubli, ne me ferme pas les yeux, laisse-moi regarder la vie une dernière fois….