Il avait été heureux le Pierrot, autrefois.
Il me faisait rire, me remontait le moral. Ensembles, on allait à la pêche. Le poisson importait peu, on passait du bon temps. Sur le coup de midi, sandwiches et bières sortaient de la glacière et lorsque la lumière du soleil tamisée par les nuages se faisait basse sur l’horizon on remballait tout l’attirail et on repartait bras dessus, bras dessous.
Il a été heureux jusqu’au jour ou la Brigitte l’a quitté.
Ce lundi là, à la fin du repas de midi, elle s’est levée et lui a simplement dit : « Pierrot, je m’en vais. » Lui, évasif, a demandé : « Tu reviens à quelle heure ? »
Elle l’a regardé et s’approchant de lui, l’a embrassé sur le front. « Mon pauvre Pierrot ! »
Et elle est partie.
Depuis il a bien changé. On est restés amis bien sûr, mais il ne me parle plus beaucoup. Tous les soirs je passe au bistrot. Il est attablé avec deux ou trois pochtrons et il s’enfile bière sur bière. J’attends au comptoir. Dès qu’il me voit, il les chasse en tapant sur la table et me fait signe de venir. Il commande deux Picon.
Je reste assis en face de lui, à siroter. Je palpe son silence, il a les larmes aux yeux, marmonnant de temps à autres : « Elle va revenir… »
Mais tout ça, c’est bien fini.
Je suis entré dans l’église en pleine cérémonie.
Sûr qu’il attend que je lui fasse un signe.
Alors, ému, je cris : « Un p’tit con bière » et je sors les yeux mouillés en titubant comme il le faisait si bien.
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Pauvre Pierrot.
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Julien revisité.
Je l’aimais bien le Pierrot. Pour sûr que c’était mon meilleur ami. Je crois bien que j’étais le seul qui lui restait. Il est mort hier au soir, à cinquante-sept ans, c’est jeune pour mourir. On l’enterre demain.