Elle se prénommait Camille, comme d’autres s’appellent Chimène ou Mélisande.
Par la volonté d’un tragique destin, elle se trouvait plongée dans un immense amour impossible.
Une passion qui la transportait mais la consumait de tourments.
Et pourtant, du haut de sa jeunesse radieuse, elle l’aimait follement son doux prince !
Un sort contraire les condamnait à dissimuler leur idylle. Ne pouvoir la vivre au grand jour désespérait Camille. Comme si elle était coupable d’un crime aboninable alors que dans son cœur il n’y avait que douceur et innocence.
Une injustice que seule la pureté de ses sentiments lui permettait jusque là de surmonter.
Mais que de souffrances pour quelques moments de bonheur arrachés à toutes ces haines qui s’opposaient à leur union secrète.
Malgré la force de son amour, la volonté d’affronter tant d’adversités l’abandonnait peu à peu car le temps est un grand traître qui détraque bien des choses en usant le courage et la détermination.
Elle en était arrivée à se sentir coupable et toutes ces larmes versées lui étaient devenues insoutenables.
Jusqu’au jour où, dans un accés de sombre désespoir, elle décida d’écrire sa lettre de rupture avant que ne se dénoue le drame dont elle eut la prémonition dans un songe une nuit d’été.
" Cher William,
Tu m’as menée au fil des pages du temps jusqu’à cette terrible scène d’hier qui m’a anéantie.
Je ne puis en supporter davantage car je sais que cet amour contrarié va me mener à ma perte.
Aussi, avant qu’il ne soit trop tard, je m’en vais en claquant la porte de ta pièce.
Je ne serai pas une nouvelle victime de ta tragique imagination.
Tu n’as qu’à te trouver une autre héroïne.
Camille. ”
Et William, très déçu par Camille qui avait disparu de sa pièce, fut obligé de la remplacer par Juliette qui passait par là en gondole à Venise, afin de pouvoir écrire la fin de sa tragédie.
Quant à Camille, elle avait quitté Vérone pour rentrer chez elle à Londres.
Après avoir soigné son immense chagrin dans un couvent sous le pseudonyme d’Héloïse, elle rencontra quelques mois plus tard un amour heureux, sans entrave.
Hélas, elle s’en lassa et sa fade monotonie lui fit déplorer sa passion d’antan.
Elle écrivit à William pour lui faire part de ses regrets, mais il était trop tard : Juliette était déjà morte et devenue, contre toute logique, irremplaçable.