On ne pouvait pas sortir la nuit. Ni partir comme ça, à l’autre bout du monde.
On se devait d’obéir aux parents, aux professeurs, chaque fois, chaque seconde, à ceux, fascinants, qui nous façonnaient l’âme et le cœur et à qui on n’avait pas le droit de répondre, même quand ils avaient tort.
Pour certains, on avait déjà eu dans la bouche le goût de la mort, celui de l’abandon. On faisait donc avec des rêves brisés, et des renonciations que la maturité nous imposait, alors que l’on n’avait pas l’âge.
On ne pouvait pas faire l’amour comme on voulait, on ne disait pas que l’on aimait, on le cachait aux autres. Il en fallait du courage pour affronter ses sentiments et dévoiler à l’autre ses pensées indécentes, surgies d’un corps et d’un esprit qu’on ne maîtrisait pas, que l’on aurait voulu crier comme pour s’en libérer, mais que l’on faisait taire parce qu’on en avait honte.
On souhaitait ressembler à. Mais on n’était pas soi. Et on ne savait même pas comment le devenir. On était tourné vers l’avenir, sans trop savoir où on allait, sur quel chemin semer. Trop jeune pour se retourner sur ce que l’on avait fait, trop vieux pour ne pas avoir conscience que le temps défilait et qu’il faudrait accomplir.
On rêvait de l’idée du bonheur, alors qu’on y était, sans que l’on puisse le reconnaître. Les fenêtres ouvertes et les cheveux au vent, dans l’émoi de la découverte, trop préoccupé à le chercher alors qu’il était à nos pieds. Cette existence offerte…
15 ans, l’âge des possibles, où tout "semble" possible, quand on est un adulte sensible au temps qui passe et que l’on se retourne sur son parcours de guerre lasse. À ce moment seulement, on se souvient de ce temps imparfait comme d’un joyau perdu dans le flot des années, qui ne reviendra plus. Sans que l’on ait pu, su, boire jusqu’à la lie, cette eau si pure que nous donnait la vie. Juste parce que le passé est là pour nous rappeler ce que nous sommes devenus sans trop l’avoir voulu. Et qu’il revient à nous, avec son jamais plus, nous murmurer sa nostalgie.