Les mots parfois me manquent. Je n’arrive pas à dire exactement ce que je ressens et ce qui m’emplit d’émotion au moment justement où ces fameux mots qui me manquent devraient faire un pont royal au transport qui nous conduit l’un à l’autre.
Les mots m’abandonnent de temps en temps. Je ne me plains pas, je dresse seulement un constat. Il est désagréable, cet inventaire de tous mes oublis, de mes hésitations et de mes faiblesses parce que je m’efforce souvent de trouver la phrase, la tournure, la locution qui rende justice au sens qui s’érige quand deux êtres se parlent. Les mots qui me manquent sont ceux de la mort et je me rends compte que j’ai construit tout mon discours dans la seule optique de la vie, de la joie, d’un bonheur illusoire sans doute, d’une accumulation des plaisirs qui fait le lit de toutes les consommations. La production de mon art même s’articule autour des forces de la vie, comme si le désir finalement n’était pas la première expression de la mort.
Ces mots-là me manquent, donc. Je m’en rends bien compte quand je regarde mon amoureuse. Quand je la vois rire et s’épanouir dans la pensée suspecte qu’il n’y a rien de plus beau que l’amour, je sais lui dire que ce mot d’amour est une invention des plus perfide et que son sens ne s’exprime pas comme tout ce qui fait vivre, quand je la vois chercher des solutions au sentiment hasardeux et irrationnel qui l’empêche de vivre sereinement, je peux lui montrer qu’elle se trompe de combat et que la jalousie est déjà un échec.
Mais quand je la vois sourire et que scintille au coin de ses yeux l’éclat métallique de l’épée suspendue au dessus de sa tête, prête à trancher le fil de sa vie, à pénétrer dans son cerveau pour en extirper le moindre soupçon d’envie, je ne sais plus ce que signifie amour ou jalousie ou même toujours. Je sais encore mais à peine, comment respirer boire et lire nous emmène dans un voyage inconnu.
Tout s’organise alors dans une dualité implacable et tellement épurée qu’il est ridicule de vouloir autre chose que comprendre cela : à la vie, à la mort.
On touche à l’essentiel, à l’être.
Les mots me manquent, une idée affleure, dérisoire et pourtant dépositaire de tout mon amour : de la même façon que la vie nous réunit, la mort ne nous séparera pas.
Les mots me manquent, pas l’amour.