Quoique !
A peine ai-je fermé les yeux, qu’une infirmière vient me secouer le brancard pour me faire subir encore une flopée de tests.
Vous avez les résultats ?
Non pas encore, mais ça ne devrait plus tarder. Suivez-moi s’il vous plait, un médecin va vous ausculter.
Encore ?
Oui, c’est juste pour vérifier certaines choses.
Un peu trop confiant en moi, une fois de plus, je me relève trop vite et ma ligne bleue des Vosges se transforme en pics et arêtes déchiquetées himalayens. Tombe la neige aurait chanté alain barrière car je manquais de me vautrer comme si soudainement le brancard venait de se transformer en piste olympique de bobsleigh. En moins de temps qu’il n’en faut à un cent de puces pour investir un chien, des mains me saisissent prestement et fermement en s’exclamant :
Ben alors, on se prend pour le roi de la glisse ?
Vexé comme un pou sur un crâne chauve, je marmonnais un :
J’voudrais t’y voir bécasse.
Je vous livre la version oreilles chastes. Pour la version non censurée :
« S’il y a quelqu’un que ça intéresse
Qu’il m’envoie son nom et son adresse
Je lui raconterais l’histoire
De l’homme qui ne pouvait plus s’asseoir.
Il tanguait sans Laverdure
Et chutait comme un fruit mur.
Cela n’avait rien de magique
C’était juste anatomique.
S’il y a quelqu’un que ça intéresse
Qu’il m envoie son nom et son adresse.
Je lui raconterais l’histoire
De l’homme qui aurait pu choir.. »
Malgré cela, je lui fut (je vais me reconvertir tonnelier si ça continue) reconnaissant de m’avoir évité une chute plus que certaine et je commençais à comprendre l’utilité de la multiplicité de membres dont étaient pourvus les représentants du personnel de santé. Cela n’avait rien à voir avec une quelconque mutation génétique, c’est que tout simplement la fonction crée l’organe et avoir quatre bras, ou plus, était indéniablement très utile à l’exercice de ce métier. La preuve en était, si elle n’avait eu que 2 mains, il lui aurait été impossible de me retenir et j’aurais chu lourdement à n’en pas douter.
Une fois la situation bien en mains, elle héla une de ses congénères pour lui mander un fauteuil roulant afin que subséquemment elle puisse me conduire auprès du marabout en chef pour que celui-ci procède sur ma personne à quelques incantations divinatoires. Après avoir épuisé toutes les ressources de la médecine moderne, il semblait bien que j’allais devoir en passer par des pratiques vaudous, tant la gente hospitalière paraissait ignorante de ce qui m’était arrivé.
Caïn caha, rouli roula, me voici derechef propulsé par la préposée dans le bureau du grand manitou.
Hugh, Fis-je en arrivant.
Hu ? Répondit-il.
Alors, qu’est-ce qu’on a là ? poursuivit-il sans attendre que je lui donne le mot de passe.
Considérant que le on dont il parlait ne pouvait etre que moi, j’ouvrais la bouche pour lui raconter ma vie. Mais je me trompais, faisant comme si je n’existais pas, il onomatopait
Hum.
Bon.
Mwé
Ha, je vois
Bien, on a le résultat de l’IRM s’enquit-il ?
Il sera là dans 2 minutes, minauda mon escort girl, qui n’avait rien d’une ford mais qui l’était comme un turc.
Alors, comment on se sent, s’enquit-il (lui aussi radotait)
Comprenant que cette fois-ci, il s’adressait à moi et qu’il entendait bien que je lui fasse une réponse, je décidais de jouer le jeu.
Par le nez.
Comment ?
Je sang par le nez,
Vous avez saigné du nez ?
Qui ça, moi ?
Qui voulez vous d’autre ?
Je ne sais pas moi, « ON » peut être, non ?
Vous allez bien ?
Non.
Je vois ça,
Moi aussi, en double mixte.
?? S’interloquat-il.
Pendant cet échange, un nouveau monstre bicéphale venait de faire son apparition et comme d’habitude, ils avaient l’un et l’autre échangé leur tête. Il devenait évident que c’était un mode de communication normal chez eux et j’en déduisais que cela leur permettait d’échanger instantanément des informations. Avec une constance frisant la mono maniaquerie, il reprit en lui-même, lisant les dossiers qui venaient d’apparaître comme par magie devant lui.
Hum.
Bon.
Mwé
C’est clair.
Malgré tout il semblait perplexe en se grattant la tête de sa congénère avec ses deux mains gauche.
On va voir ça, finit-il par dire au bout de quelques instants.
Il(s) se leva (èrent) pour prendre une (des) chaise(s) et s’installa (èrent), je crois face à moi.
Regardez mon stylo.
Et voilà c’est reparti, il(s) recommence (nt) avec son (ses) stylo(s). Ah elle est belle la médecine moderne, ou le stylo semble être l’instrument de base pour établir un diagnostic. Souhaitant maintenant en finir avec ce simulacre de consultation, je me pliais à sa requête, en lui demandant toutefois de me préciser quel stylo je devais regarder.
Fermez l’œil gauche. Voilà, c’est mieux maintenant ?
Oui, merci.
Bon alors suivez bien les mouvements sans bouger la tête.
Parfait, maintenant fermez l’œil droit et suivez mon stylo avec le gauche.
Ne bougez pas la tête.
J’essaye, mais c’est dur.
Bon maintenant, ouvrez les deux yeux et essayer de fixer le stylo. Oui comme ça c’est bien.
En haut, en bas, doucement... à droite, à gauche.
Est-ce que la tête vous tourne ?
Non, mais je vois plusieurs stylos, ça n’a pas changé.
D’accord. Vous allez vous lever doucement les yeux fermés. Geneviève, venez l’aider. Claudie, vous aussi.
Gardez les yeux fermés, c’est bon, pas de vertiges ?
Non, ça va.
Gardez toujours les yeux fermés et touchez votre nez avec votre main gauche. La droite maintenant. Bien, continuez, gauche, droite, plus vite.
Bien, ouvrez les yeux maintenant, doucement et on recommence. Touchez votre nez, main gauche, droite, gauche.
Toujours pas de vertiges ?
Non, ça va j’arrive à tenir ;
Des nausées ?
Non, c’est bon.
On continue alors. Maintenant fermez de nouveau les yeux et faites quelques pas.
Voilà, doucement, allez-y doucement.
Retournez-vous, ouvrez les yeux et faites pareil.
D’accord, dis-je docilement.
Toujours pas de vertiges ?
Non, mais c’est pas facile de tenir debout.
Regardez le plus loin possible et faites quelques pas. Ne vous inquiétez pas Geneviève et Claudie sont là, elles vous aideront si besoin.
Quel jour sommes-nous ? me lança t-il à brûle pourpoint.
Mardi.
Vous avez quel age ?
J’ai eu 47 ans le 1er Juin.
Votre profession.
Directeur informatique.
Vous voulez bien me raconter encore une fois ce qui vous est arrivé ?
Je peux m’asseoir ?
Des vertiges ?
Non, mais je suis fatigué.
Allez-y, doucement. Je vais vous regarder le fond de l’œil avec une lumière. Ça ne fera pas mal, mais il faut garder les yeux ouverts.
Ok.
Mmmh, dit-il, bien, bien.
Je lui débitais mon petit laïus que je commençais à connaître par cœur à force de le raconter à tout le monde. SFR, Laurence, Sushi, Bureau, etc... Je vous passe le reste.
Bon, je vous rassure, votre problème n’est pas ophtalmique. Vous n’avez rien aux yeux et votre IRM est normal.
Ben c’est quoi alors ?
Ça je ne sais pas, il va falloir faire des examens complémentaires et ici aux 15-20 nous ne sommes pas équipés pour ça. On ne s’occupe que des problèmes oculaires. On va vous transférer.
Où ça ?
Je ne sais pas, certainement à St Antoine, c’est l’hôpital le plus proche.
Je préférerais qu’on me rapproche de chez moi, ça serait plus pratique pour ma femme.
Vous habitez où.
En banlieue sud, à Antony, il y a un hôpital à 10 minutes de chez moi.
Je vais voir, ce qu’on peut faire. En attendant essayez de vous reposer, on va vous ramener.
Ça va être long ?
Je ne sais pas, désolé.
Tu parles qu’il est désolé, un mec se pointe aux urgences des 15-20 avec un œil en goguette et il me dit que je n’ai rien aux yeux... Finalement autant qu’on me transfère ailleurs vu, qu’il n’a pas l’air de s’y connaître vraiment. Mais tout ça n’arrange pas mes affaires, je ne suis pas prêt de rentrer chez moi avec toutes leurs « C......ies ». Autant appeler chez moi pour prévenir.