De retour sur le brancard avec l’aide de Geneviève et Claudie qui fort civilement, pour des monstres, m’aidèrent à regagner à pied mon brancard. Le médecin en chef, qui se prénommait Bernard d’ailleurs, ayant décrété doctement que je n’avais pas de problème aux yeux, on m’avait retiré l’usage du fauteuil. Celui-ci était donc parti rouler vers d’autres cieux. Finalement les 2 cerbères, m’abandonnèrent à mon sort en me reléguant dans un coin et elles partirent sans plus s’occuper de moi.
même pas un bisou ? Me dis-je dans un soupir...
Prenant mon téléphone, je fermais l’oeil gauche et visant la touche bis je rappelais chez moi.
...
C’est moi.
Alors ?
Bah rien, ils ne savent pas ce que j’ai.
Et l’IRM ?
Normal, mais il fallait s’y attendre, j’ai rien dans le crâne.
T’as fini de dire n’importe quoi, et pour tes yeux ?
Il paraît que j’ai rien aux yeux. Si je louche c’est pas un problème oculaire.
-C’est peut être nerveux.
Je crois plutôt que c’est ce que j’ai mangé ce midi. De toute manière ils vont me transférer.
Où ça ?
Je ne sais pas, j’ai demandé qu’on m’envoie à la providence, comme ça je pourrais rentrer en RER après.
Ils t’ont dit quand ils te changent d’hôpital.
Non, ils ne savent pas. Ils n’ont pas l’air de savoir grand chose d’ailleurs. Je n’arrête pas de leur dire que c’est juste les sushi de ce midi qui ne passent pas, ils n’écoutent pas. Tout à l’heure le marabout m’a fait faire des tests pour les mecs bourrés.
Comment ça ?
Ben tu sais, on te demande de toucher ton nez avec une main, puis l’autre et ensuite tu dois le faire de plus en plus vite. Puis il m’a aussi fait marcher pour voir si je tenais debout. Il faut aussi faire l’avion, tu montes les bras à l’horizontal et tu ne dois plus bouger. C’est pour vérifier l’équilibre. Je suis sur qu’il croit que j’ai picolé ou que j’ai pris un truc, genre fumette. Sinon j’vois pas pourquoi il ferait ça, vu que mon IRM est soi disant normal.
Et ils t’ont dit si ils allaient te garder ensuite ?
Non et maintenant qu’ils doivent me transférer ils s’en fichent un peu. Je ne suis plus leur problème.
Tu me tiendras au courant ?
Oui, ne t’inquiète pas. Dès que je sais dans quel hôpital ils m’emmènent je te le dis. J’espère juste que je pourrais recharger la batterie du téléphone.
Tu veux que je passe te voir ?
(-----)
Ça ne servira à rien tant que je ne sais ni ou ni quand et puis il te faut plus d’une heure rien que pour venir aux 15/20 et si pendant que tu es en route ils m’envoient ailleurs, tu vas galèrer pour me retrouver. Bon, je vais essayer de me reposer un peu, je te laisse, bisous.
Bisous.
J’essaye de me rappeler combien de barres affichait la batterie cet am. 3, 4 ? En tout cas elle n’était pas vide et pas chargée à bloc non plus. Il faudra que je recharge le téléphone des que possible, je sens que je vais en avoir besoin. Et le bureau, je préviens ou pas ? On verra plus tard, pour une fois. Il sera bien temps de les prévenir demain ou alors je leur enverrais un mail ce soir si j’arrive à voir un peu moins double.
...
Monsieur ?
Mmh...
Monsieur, réveillez-vous. On vient vous chercher.
M.... Je m’étais endormi pour de bon, sans m’en rendre compte. J’émerge lentement des nimbes pour reprendre pied dans ma triste réalité. J’ouvre les yeux et pendant une ou deux secondes il ne se passe rien. Enfin presque rien, car durant ce court laps de temps, je retrouve une vision "normale". Je m’explique. C’est-à-dire qu’avec mes deux yeux je ne voyais qu’une seule image. Incroyable, non ? Vous avez raison c’est incroyable, car juste au moment ou je me réjouissais, mon œil gauche se mit en rideau, comme il fallait s’y attendre, et instantanément j’eus l’impression d’être sur une couchette du Titanic après que celui-ci eut heurté le glaçon géant. Pour un peu, il ne manquerait plus que la femme de "mon mari R’né" pour pousser la chansonnette et on s’y croirait vraiment. Rogntudju !!! C’est pas possible ils ont monté le brancard sur des vérins hydrauliques pendant mon sommeil ou bien il l’ont récupéré sur un manège de la foire du trône. Question effets spéciaux, c’est champion et pas besoin de s’appeler John Cameron ni Georges Lucas pour y arriver. Une seule solution fermer l’écoutille gauche avant de perdre la boule. Ouf ! Ça va un peu mieux j’en profitais alors pour répondre dans un demi brouillard :
Hein ?
C’est alors en ouvrant la bouche que je pris conscience qu’un liquide visqueux me coulait sur la joue. Pendant mon sommeil j’avais bavé comme un escargot dans une mine de sel. Mon col de chemise était trempé, ainsi que le drap sur lequel j’étais étendu. Bien évidemment dans ces moments là, on ne réfléchit pas et soit on s’essuie dune revers de manche soit on aspire tout ce qui est en train de couler dans un slurp peu ragoûtant. Pour l’occasion je me permis de faire les deux, puisque je voyais double je pouvais me permettre cette folie. En même temps je ne pouvais m’empêcher de penser que si j’avais bavé j’avais sans doute aussi ronflé et peut être fait des bulles qui n’avaient rien de papales. Rien que d’y songer cela provoqua en moi une terreur rétrospective car je ne doutais pas un instant que tout le service des urgences avait du défiler pour venir observer le phénomène dans toute sa splendeur. J’étais mortifié par cette idée et je ne trouvais rien d’autre à dire que :
(-----)
Hein ? Où ?
On vous transfère.
Hein ? Où ? Enonçais-je, histoire d’entamer le dialogue et de savoir dans quelle nouvelle antre du diable, les monstres de service allaient me transporter manu militari.
St Antoine.
Hein ? Où ? Réitérais-je avec le secret espoir de ne pas avoir bien saisi le sens de sa réponse laconique.
Parce que St Antoine de je ne sais pas d’où (enfin si, je le savais) n’était pas du tout, mais alors pas du tout une destination qui me convenait. J’eusse de loin préféré que l’on me transportât du côté de Swan (Lui et moi on est voisin), ce qui était nettement plus pratique pour mon épouse s’il lui fallait venir me quérir séance tenante. Puisque je n’avais pas de problème ophtalmique, c’était bien une intoxication alimentaire. Et si cela devait par la suite déboucher (c’est le cas de le dire) sur un encombrement passager des voies aériennes inférieures, j’aurais souhaité que la prochaine Introspection Rectale Manuelle (I.R.M.) soit effectuée à la providence. J’avais déjà eu l’occasion par le passé de tester leurs méthodes et je les avais trouvées beaucoup plus efficaces que Bison Futé pour éliminer les bouchons. Mais il semblait que la gente hospitalière en avait décidé autrement et leur décision paraissait pour le moins irrévocable.
St Antoine, on vous emmène à St Antoine. C’est l’hôpital le plus proche et le seul qui a de la place me débita le nouveau venu chargé de la manipulation de ma personne.
J’veux pas y aller, larmoyai-je.
Croyant certainement que j’étais du genre à le lamenter pour un oui ou pour un non, il poursuivit.
Faut pas avoir peur comme ça mon petit monsieur.
J’avais bien envie de lui répondre que :
1 - Je n’avais pas peur.
2 - Je n’étais pas petit.
3 - pas de trois, ça n’aurait servi à rien. J’avais affaire à un primaire, primate même, incapable de la moindre pensée intelligente et par conséquent il était complètement inutile de ma part de tenter de lui faire comprendre mon point de vue. Je me ferais entendre à St Antoine et là-bas je trouverais bien un bipède doté d’un cerveau en état de marche. Enfin, je me raccrochais à cet espoir, car la suite des évènements me fit cruellement regretter de ne pas avoir insisté pour aller me faire voir ailleurs.